Depuis quelques années, les préoccupations environnementales sont venues bousculer ce modèle pour imposer un nouveau paradigme, celui de la dépollution des sols et de la recherche d’un modèle foncier plus vertueux et moins carboné. Une question en forme d’équation à plusieurs inconnues s’est alors formée dans l’esprit des promoteurs et des acteurs publics : comment concilier démographie positive en France, où la population augmente (légèrement) chaque année, et nécessité de réduire les espaces où il est possible de bâtir ? « C’est une sorte d’injonction contradictoire » exprime Benoist Apparu, président d’Emerige. « Davantage d’habitants devrait logiquement induire davantage de mètres carrés, entre les logements, les bureaux, les écoles, les commerces… Comment agissons-nous face à ce qui s’apparente à une sorte de quadrature du cercle ? Il nous faut assumer cette contradiction et construire autrement, en élevant davantage les immeubles en ville et, surtout, en réhabilitant l’existant ».

Un important travail de sensibilisation

Le mot est lâché : réhabilitation. Plutôt que de céder aux sirènes de la construction neuve, le futur de l’immobilier porterait le sceau du bâti existant, mais laissé à l’abandon, en friche. « Pour satisfaire aux objectifs définis à l’occasion de la Cop 21 à horizon 2050, il faudrait multiplier entre trois et cinq le nombre de rénovations du parc existant » estime Walid Goudiard, « head of project & development services EMEA » chez JLL. « Tout ce qui peut être conservé doit l’être ! » tranche-t-il. Ça ne semble pourtant pas encore totalement ancré dans les mœurs, selon Emmanuel Desmaizières, le directeur général d’Icade Promotion : « entre 2018 et 2022, la délivrance de permis de construire de maisons individuelles a augmenté de 20 %. Pour le collectif, c’est une baisse de 12 % sur la même période. Ces deux chiffres traduisent l’enjeu que représente l’étalement urbain et l’important travail de sensibilisation qu’il reste à faire ». Ce ne sont pourtant pas les friches et autres immeubles vides et désaffectés qui font défaut en France, comme le confirme Mathieu Descout, président de Novaxia Investissement : « notre entreprise investit depuis 15 ans dans des biens obsolètes ou en passe de le devenir, comme des friches industrielles, des bureaux vacants ou encore des locaux d’activités ». La période du Covid a d’ailleurs mis en lumière le déséquilibre qui existe entre, d’un côté, une surabondance de bâtiments tertiaires et, de l’autre, un manque criant d’immeubles de logements. Certains quartiers d’affaires, à l’image de La Défense, ne sont jamais parvenus à retrouver leur niveau d’affluence d’avant Covid, des milliers de mètres carrés de bureaux restant désespérément vacants…

Prise en compte de sa dette carbone

« Tous les immeubles ne peuvent malheureusement pas être réhabilités et transformés en vue d’un nouvel usage, pour la simple raison que beaucoup d’entre eux ont été bâtis dans le passé afin de ne répondre qu’à une seule destination» abonde Mathieu Descout. Dit autrement, un immeuble de bureaux construit dans les années 1970 ou même plus tard n’a pas été pensé comme pouvant avoir une durée de vie limitée en tant que tel. « Aujourd’hui, les équipes de Novaxia travaillent sur la réversibilité future des bâtis ! ». Lorsqu’il n’est pas possible pour Novaxia de recycler un immeuble existant, tout est fait pour en conserver a minima le maximum d’éléments, que ça soit un sous-sol, un étage, un socle… Ou, à défaut, pouvoir réintégrer des matériaux bruts à la future construction. « Il faut savoir qu’il est possible de réaliser jusqu’à 50 % d’économies carbone si l’on restructure un immeuble au lieu de le démolir/rebâtir ! ». Pour Walid Goudiard, la prise en compte de sa dette carbone peut servir à compenser

les émissions de gaz à effet de serre des promoteurs, via un système de compensation. Par exemple, pour Novaxia, cela passe par 70 000 m2 de pleine terre créés sur ses projets de 2021, ainsi qu’un respect scrupuleux de la ZAN (zéro artificialisation nette) des sols. Pour information, la dette carbone se définit comme une « dette financière en réaction au fait que les émissions de gaz à effet de serre sont responsables de dégâts environnementaux futurs ». Le carbone émit est soumis à un phénomène d’inertie dans l’air, que certains scientifiques estiment à un siècle, ce qui signifie que l’air que nous respirons aujourd’hui résulte de l’activité effectuée au cours des dernières décennies (dette carbone) et que, par conséquent, les comportements vertueux que nous adopterions dès maintenant ne porteraient leurs fruits sur l’environnement que bien plus tard…

Urbanisme transitoire

Novaxia, fondée par Joachim Azan en 2006, fait figure d’entreprise précurseur pour le recyclage urbain. « Nous avons fait figure d’évangélisateurs de la cause auprès des promoteurs » confie Mathieu Descout. De fait, beaucoup de promoteurs se sont associés à Novaxia dans des projets de co-promotion et sont eux-mêmes montés en compétence dans la réhabilitation de friches urbaines et la restructuration d’immeubles. De plus, Novaxia bénéficie de la confiance des investisseurs et épargnants qui, manifestement, ont compris que l’avenir de l’immobilier passait par l’existant. « Nos fonds, tous labellisés ISR, ont collecté 92 millions d’euros en 2020, 300 millions en 2021 et, à fin août 2022, nous en sommes déjà à presque 300 millions, ce qui signifie que nous allons battre un nouveau record à la fin de l’année» se réjouit Mathieu Descout. La société Novaxia s’est également spécialisée dans un concept qui fait sa singularité encore aujourd’hui : l’urbanisme transitoire. Il s’agit de mettre à disposition des locaux vacants, avant le début de la phase de travaux, à des associations ou des collectifs d’artistes afin qu’ils puissent en disposer. De fait, un volet social et solidaire accompagne la dimension écologique portée par Novaxia. « Les investisseurs acceptent que 5 % de l’argent que l’on collecte auprès d’eux soit investi dans du pro bono (pour le bien public) » justifie Mathieu Descout.

« Novaxia Investissement investit depuis 15 ans dans des biens obsolètes ou en passe de le devenir »

Redévelopper des actifs tertiaires

Du côté des promoteurs les plus importants, le recours à l’existant est bel et bien ancré dans les mœurs. « Le gros de notre artificialisation est causé par l’extension urbaine et, à l’inverse, le recyclage urbain permet de désartificialiser » explique Diego Harari, directeur de l’innovation et du développement chez Vinci Immobilier. « Notre stratégie consiste à réorienter nos développements fonciers et à changer notre organisation afin de progresser sur le recyclage urbain. Nous nous sommes fixés comme objectif que le recyclage représente plus de 50 % de notre chiffre d’affaires d’ici 2030 ». De son côté, Icade a créé une filiale, appelée « AfterWork, by Icade », qui propose de redévelopper des actifs tertiaires pour en faire notamment des logements. Deux opérations majeures en découlent : la transformation du Crowne Plaza à Neuilly-sur-Seine (92) en 166 logements, ainsi que la refondation d’un établissement scolaire dans le 13ème arrondissement de Paris. « Nous avons égale- ment acquis, auprès d’Engie, un portefeuille de 70fonciers sur lesquels avaient été bâtis, sur 45 hectares, des usines à gaz» décrit Emmanuel Desmaizières. « Il va falloir dépolluer les sites et effectuer un important travail de curage, puis nous bâtirons des opérations immobilières mixtes comprenant des logements, des résidences services, des bureaux, des commerces ou encore des locaux d’activités ». De son côté, Altarea a développé l’une de ses marques appelée « Histoire & Patrimoine », qui a vocation à réhabiliter des lieux historiques. « La restructuration est une réponse efficace aux enjeux de recyclage urbain. Et quand il s’agit de bâtiments historiques, cela rajoute un supplément d’âme en préservant notre patrimoine» expose Nathalie Bardin, directrice exécutive marketing stratégique, RSE et innovation chez Altarea. « C’est également une façon de produire moins de carbone en conservant la structure de base !». La transformation et le recyclage sont définitivement devenus synonymes de sobriété.

La transformation des immeubles et le recyclage urbain : deux techniques synonymes de modernité