Promoteurs, commercialisateurs et autres conseils en font un axe de communication majeur, sorte de concours Lépine du plus vertueux et du plus actif sur le sujet. Il faut dire que les mœurs ont particulièrement évolué ces dernières années, la population se sensibilisant à la question devenue centrale de « survie de la planète ». « La décarbonation n’est plus un débat aujourd’hui ! Il faut passer de quelques exemples de bâtis en bas carbone par-ci par-là à une démarche systémique visant une généralisation de ce mode de construction » avertit Benoist Apparu, président d’Emerige. Les textes réglementaires, de la loi Climat et Résilience au décret tertiaire en passant par la loi Elan, encadrent dorénavant le marché de la construction et de la rénovation des bâtiments, l’immobilier étant l’un des secteurs les plus polluants au monde. « 40 % des gaz à effet de serre sont le fruit de l’activité de notre industrie immobilière ! » estime Walid Goudiard, « head of project & development services EMEA » chez JLL. Pendant longtemps, la construction et l’étalement urbain tous azimuts ont représenté le modèle indiscutable, dans un contexte de croissance économique décorrélé de toute considération écologique et environnementale. Le béton, filière d’excellence de l’industrie française, a eu pignon sur rue pendant des décennies, avant de tomber peu à peu en disgrâce, au point que d’autres matériaux, tels que le bois, mais aussi la paille, la terre crue (béton de terre), voire le béton moins carboné (« il existe des bétons qui ont une teneur en carbone réduite de plus de 50 % ! selon Walid Goudiard (lire également en page 48), tirent aujourd’hui leur épingle du jeu et apparaissent comme des solutions d’avenir. « Sans oublier le béton de bois, de chanvre ou d’argile… Sur le gros œuvre, aux innovations passionnantes, nous développons de nouvelles solutions vraiment performantes ! » se félicite Benoit Mainguy, directeur de la construction chez Nexity.

Le projet Sollys à Lyon

« Sollys » est un programme mixte qui comptera « deux immeubles de belle hauteur » et accueillera un espace de santé innovant accompagnés d’un programme d’habitat collaboratif. Cet îlot réalisé par Bouygues Immobilier proposera, à terme (horizon 2023), 20 377 m2 de bureaux, logements et commerces. « Vertueuse pour l’environnement, l’opération sera alimentée en énergie par la première solution d’autoconsommation collective de France », commente le groupe. Dans cet ensemble figure notamment un bâtiment tout bois. Il s’agit d’un immeuble de logements en R+6 situé au sein du quartier Confluence, à Lyon (69), qui développe 2 380 m2 de surface de plancher et utilise 683 m3 de bois. « C’est un beau projet pour la filière bois », ajoute Julien Brisebourg, directeur de la filière bois et matériaux biosourcés chez Bouygues Immobilier. « Le rez-de-chaussée est en béton, les cages d’escalier et d’ascenseur également et les façades et planchers sont intégralement en CLT. Ces panneaux de bois CLT Hexapli (bois lamellé-croisé) utilisés sont français et produits par la société Piveteau en Vendée. Le projet a été conçu par le cabinet David Chipperfield Architects et construit par la société Sogrebat avec son sous-traitant Royans Chapentes ».

Un ancrage territorial marqué

« Le bas carbone est un positionnement stratégique pour Icade » explique Emmanuel Desmaizières, directeur général chez Icade Promotion. « L’évolution de la part des bâtis à ossature bois double quasiment tous les ans et sont généralisés sur la plupart de nos opérations ». Une filiale, appelée Urbain des Bois, a même été créée au mois d’avril 2021 par Icade Promotion. Elle a pour objectif de produire entre 600 et 1 000 logements par an en ayant massivement recours à la filière bois pour ses constructions. «L’objectif est d’avoir un ancrage territorial marqué en faisant appel aux acteurs locaux de la filière » précise Emmanuel Desmaizières. Trois concours ont été remportés par Urbain des Bois et les premiers permis de construire ont été déposés ; les livraisons sont prévues pour la fin de l’année 2024. « Entre 2019 et 2030, nos émissions de gaz à effet de serre devraient avoir baissé de 41 % » estime le directeur général d’Icade Promotion. Le groupe a également obtenu de la part de Solideo (Société de livraison des Ouvrages Olympiques) de réaliser, en partenariat avec la Caisse des Dépôts et CDC Habitat, l’îlot D du Village Olympique et Paralympique des Jeux de Paris 2024, à Saint-Ouen.

Du côté d’Emerige, le bois est également un matériau de plus en plus utilisé dans ses projets ; en témoigne le « 7 rue de Tolbiac », à Paris 13ème, un bâtiment en structure bois comptant 80 logements en structure mixte bois/béton avec murs à ossature bois, représentant 635 m3 de matériaux biosourcés. Ou encore « Le Berlier », un immeuble de 78 logements situé également à Paris 13ème et dont la livraison est prévue pour le second trimestre 2023 ; ses 50 mètres de haut font de lui l’un des plus hauts immeubles résidentiels en bois de France.

Le groupe Altarea est également particulièrement sensibilisé à cette question. « Le bois est le matériau le plus indiqué en matière de décarbonation même si nous croyons que l’essentiel est de choisir le bon matériau au bon endroit » réagit Nathalie Bardin, directrice exécutive marketing stratégique, RSE et innovation du groupe. « Nous y croyons d’autant plus que nous avons signé un partenariat avec le promoteur Woodeum, qui n’a recours qu’à du bois massif afin de développer des résidences labelisées BBCA. Nous avons également livré, en 2015, le centre commercial Marques Avenue, à Aubergenville (78), le 1er complexe commercial français réalisé en bois massif/CLT (lamellé croisé) ».

Formation des collaborateurs aux matériaux biosourcés

Pour Bouygues Immobilier, l’objectif poursuivi est le même que pour les acteurs précédemment cités : « nous souhaitons réduire de 32 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 » explique ainsi Julien Brisebourg, référent bois et biosourcés du groupe. « Nous avons une trentaine d’opérations en construction bois en cours de développement, ce qui représente 100 000 m2 de surface de plancher et aux alentours de 5 % de notre production totale. Bouygues Immobilier forme ses collaborateurs aux matériaux biosourcés dans leur ensemble et a conçu une calculatrice interne afin d’évaluer le poids carbone de l’ensemble des bâtiments en amont de leur construction », ajoute-t-il. « Nous avons rédigé une trentaine de leviers bas carbone s’articulant autour de plusieurs thématiques : peintures biosourcés, constructions en bois et en béton bas carbone, expérimentations nouvelles comme celle du béton de bois dans la conception des murs et des planchers, via notre partenariat avec l’entreprise CCB Greentech, ou du ciment décarboné grâce à un autre partenariat conclu cette fois-ci avec l’entreprise Hoffman Green Cement Technology… ». Chez Vinci Immobilier, le bois n’est intégré qu’à environ 10 % des projets. « La part du bois dans nos projets est encore faible pour des raisons à la fois techniques et économiques, bien qu’il connaisse une croissance forte » détaille Diego Harrari, directeur de l’innovation et du développement durable chez Vinci Immobilier. « Mais tout dépend de ce que l’on entend par des constructions bois : si vous faites un immeuble avec des murs en bois, considère-t-on qu’il s’agit d’un projet en bois alors même que la structure porteuse est en béton ? »…

Dynamiser la filière bois en France

Le bois doit-il justement devenir l’alpha et l’oméga de la construction décarbonée en France ? Bien qu’il constitue une ressource indispensable pour le bâti décarboné de demain, les acteurs de l’immobilier interrogés restent mesurés. « Nous n’avons pas la volonté, chez Emerige, de nous spécialiser unique- ment sur un matériau » tempère Benoist Apparu.

« Hyperion», Bordeaux

Du bas carbone à différentes échelles

« Que cela s’obtienne grâce au bois, à la pierre ou au béton bas carbone, peu importe l’essentiel étant de décarboner». Même analyse de la part de Diego Harari : « Il y a évidemment le bois, mais pas que ! L’essentiel est d’identifier le bon matériau pour le bon endroit et le bon usage. Aucun d’entre eux n’est bon en tout point, présent en quantité suffisante, au bon prix… Pour réussir la transition carbone, nous avons besoin de disposer d’une palette de solutions multiples, qu’elles soient nouvelles ou plus anciennes, comme le béton qui peut aussi être modernisé pour dégager moins de carbone ». D’autant plus que la filière bois n’est pas particulièrement dynamique en France. «Nous avons un gros problème d’industrialisation du bois dans notre pays et nous sommes très en retard sur sa seconde transformation, alors même que la France dispose d’une conséquente surface forestière » déplore François Duchaine, dirigeant de l’entreprise vosgienne Les Constructeurs du Bois, fondée en 2011 et spécialisée dans la conception 100 % bois de différentes structures, ainsi que d’écoquartiers. En effet, le territoire métropolitain totalise environ 17 millions d’hectares de forêts, ce qui représente 31 % de sa surface totale.

Adopter une approche stratégique et globale

« En France, il existe historiquement un parti pris autour du béton, qui est une véritable filière d’excellence. Nous ne pouvons pas aujourd’hui en dire autant pour le bois » abonde Ella Etienne-Denoy, « head of sustainability & ESG » chez CBRE et CEO de l’entreprise Green Soluce, un cabinet de conseil au service de la transition énergétique et environnementale des entreprises, acquis par CBRE en juin 2022. « Comment travailler sérieusement la question du bois si l’on ne dispose pas de filière performante et structurée ? » interroge-t-elle. « Il nous faut passer, pour l’ensemble des acteurs de l’immobilier, de quelques projets-pilotes à une institutionnalisation du bois et de son utilisation dans les bâtis de demain. Il faut adopter une approche systémique et globale du sujet, faire en sorte qu’il devienne politique et sociétal, multiplier les partenariats public-privé. À l’aspect technique du recours au bois doit s’ajouter une approche stratégique et générale, notamment sur l’enjeu de la formation et des compétences requises pour que son utilisation soit massifiée et comprise comme une donnée à part entière de l’équation financière des entreprises bâtisseuses et des investisseurs ». Walid Goudiard, de JLL, ne dit pas autre chose : « la nouvelle équation doit être celle-ci : ‘m2 – euros – carbone’. Pour réduire l’empreinte embarquée (« embodied carbon») des bâtiments (c’est-à-dire ce que les matériaux qui les composent rejettent en carbone) de 25 à 30 %, l’ensemble des acteurs doivent investir dans un budget carbone additionnel et intégrer cela dans leur business model de façon pérenne ».

« Le bois doit-il justement devenir l’alpha et l’omega de la construction décarbonée en France ? »

L’immeuble « Wood » à Grenoble

Surcoût induit par le respect de la RE 2020

Autrement dit, le surcoût d’un bâti en bois ne doit pas être considéré comme tel, mais vu dans une temporalité plus longue, où une construction bas carbone permettra, à terme, de faire des économies grâce à une consommation énergétique moindre. « Actuellement, bâtir en bois représente un coût supplémentaire que j’évaluerais entre 5 et 10 % du coût total d’un immeuble mais, encore une fois, ce n’est plus une option aujourd’hui et les retombées positives, y compris économiques, sont réelles » ajoute Walid Goudiard. Emmanuel Desmaizières, d’Icade, penche pour « un surcoût de 10 à 15 % pour une structure bois». «Je pense que le surcoût induit par le respect de la RE 2020 (réglementation environnementale pour les nouvelles constructions, qui a succédé à la RT 2012) est d’un peu moins de 10%» appuie Benoist Apparu. «Les chiffres dépendent beaucoup du contexte international, de l’inflation et de l’industrialisation de l’ensemble des process de construction qui permettrait une réduction des coûts… » poursuit le président d’Emerige.

Le bois, un « piège carbone »

Pour revenir sur la problématique de la filière bois en France, il faut avoir à l’esprit que l’industrie qui l’accompagne est insuffisante, pour ne pas dire famélique. Résultat : le bois coupé est expédié à l’état brut, sous forme de grumes, à l’autre bout du monde, principalement en Chine. Du bois manufacturé et transformé est à son tour importé en provenance d’Allemagne, d’Autriche ou, pire, du… Canada. Un chassé-croisé tout sauf écologique qui doit être pris en compte dans l’empreinte carbone des constructions. « Le fait d’importer du bois de l’autre bout du globe émet beaucoup de CO2 » regrette Ella Etienne-Denoy. Un comble alors même que le bois est utilisé dans un souci de réduction de l’empreinte carbone… Ses vertus sont cependant réelles et scientifiquement prouvées. « Le bois est un “piège à carbone” efficace » explique Emmanuel Desmaizières. « Les arbres emmagasinent du CO2 dans la forêt puis, une fois transformés en bois d’œuvre, ce dernier ne le rejette pas dans l’atmosphère ». « Le bois est une filière sèche, c’est-à-dire qu’il ne consomme pas d’eau, à l’inverse du béton et du ciment qui connaissent plusieurs phases de transformation successives nécessitant beaucoup d’eau » développe François Duchaine. « De plus, les pièces en bois peuvent être préassemblées en usine. Il faut aussi savoir que même abattu, un arbre continue à absorber du CO2 et donc à décarboner l’atmosphère ».

JO 2024 : Objectif Sobriété

Suppression du recours au gaz

Bien que louant unanimement le bois et ses vertus, les acteurs interrogés s’accordent sur un point important : la décarbonation des bâtis n’est qu’une partie du problème, en aval. Vient ensuite, en amont, la question de la consommation carbone dans les usages. La sobriété énergétique est un élément au moins aussi important, et cela comporte la réduction des consommations d’énergie, d’électricité et de chauffage par les utilisateurs. «En développant des solutions énergétiques plus sobres et moins liées aux énergies fossiles, nous réduisons nos émissions carbone et protégeons le pouvoir d’achat » affirme Benoit Mainguy. « La trajectoire carbone est la combinaison d’un bâti et de l’exploitation qui en est faite» abonde Benoist Apparu. «Emerige est en avance sur l’aspect énergétique de ses immeubles. A partir de 2023, nous allons progressivement supprimer la part du gaz dans la partie énergie du bâtiment et le substituer par d’autres ressources plus neutres comme le chauffage urbain, les pompes à chaleur, la biomasse, les panneaux photovoltaïques… Notre objectif est de supprimer totalement notre recours au gaz afin de ne plus consommer d’énergie carbonée et fossile ». Le président d’Emerige assure que le monde de la finance est de plus en plus impliqué sur l’éco- construction et le bilan carbone des bâtiments. « Les investisseurs institutionnels les poussent dans cette voie » explique-t-il. « Le pouvoir prescriptif vient des investisseurs » explique Ella Etienne-Denoy. «Ce sont eux, notamment, qui ont le pouvoir de faire en sorte que l’on change définitivement de paradigme, que les dirigeants politiques leur embrayent une fois pour toutes le pas ! ». Un discours sans langue de bois…

Astuces pour la planète

Objectif bas carbone