Vous avez annoncé, il y a quelques semaines, un plan d’achat de 10 000 logements : de quoi s’agit-il ?

Il s’agit plus précisément, non pas d’un « plan d’achat », mais d’un plan de soutien au monde du logement visant à proposer aux promoteurs qui risquent, ou craignent de voir augmenter leur stock de logements non vendus, de les acquérir. In’li montre ainsi sa volonté de participer à la relance du secteur.

Et quels sont les premiers retours des promoteurs ? Les logements en stock sont-ils si importants que cela ? Et quelle décote est proposée ?

Les volumes de stock existant aujourd’hui ne sont, en effet, pas aussi importants qu’après la crise de 2008, mais, au-delà de cette question du stock, certains promoteurs ont besoin de se « dérisquer » auprès des établissements bancaires. Et, face à l’incertitude du marché post Covid-19, il est vraisemblable que certains préféreront la vente en bloc ; c’est là que nous interviendrons. Des discussions sont, d’ailleurs, déjà en cours avec certains promoteurs, de taille diverse. Quant à la décote, elle est assez classique, de l’ordre de 10 %.

Quel montant sera alloué par in’li à ces acquisitions ?

Nos capacités de mobilisation financière, au global (pour tous nos projets), sont de 18 milliards d’euros, dans le cadre d’un plan de développement massif à 10 ans qui vise la production de 80 000 logements intermédiaires. Nous allons accélérer le mouvement et pouvons aller au-delà du rythme annuel de 10 000 logements.

Quid de la concurrence : les institutionnels semblent revenir sur le sujet logement…

Il est vrai que la concurrence sur le logement intermédiaire, autrefois limitée à nous-mêmes et CDC Habitat, est aujourd’hui plus importante. On sent une forte poussée de la demande d’investisseurs institutionnels et il est probable que, si nous assistions déjà à leur retour, la crise accentue ce phénomène. A moyen/long terme, et même s’il reste difficile de se prononcer, cette tendance au retour sur l’habitation, segment immobilier le plus dérisqué qui soit, devrait s’affirmer. Nous devrions assister à des réallocations d’affectation et à des arbitrages différents au sein des portefeuilles, au bénéfice du résidentiel.

Comment envisagez-vous les conséquences de la crise sanitaire et économique sur le marché du logement ?

Il est trop tôt pour affirmer quoi que ce soit. Pour l’heure, seules quelques suppositions peuvent être faites sur des mouvements à court terme, comme un risque de recul d’activité. Celui-ci sera lié à plusieurs phénomènes, parmi lesquels les élections municipales, dont le second tour n’a toujours pas eu lieu et qui « stérilise les lancements » non plus trois à quatre mois, comme nous l’avions tous envisagé dans nos prévisions, mais pour l’année entière. Il y aura également la question de la commercialisation des logements : les bulles de vente vont-elles de nouveau fonctionner ? Comment vont se comporter les acheteurs particuliers ? L’impact sur le court terme ne sera pas neutre non plus sur le plan de la durée des chantiers : les délais de réalisation seront allongés et les surcoûts liés à ces retards, importants. L’impact prix est, lui, probable. Mais la plus forte incertitude reste, malgré tout, liée à l’attitude des acheteurs : vont-ils revenir ou pas ? Et, dans ce contexte, les banquiers suivront-ils, ou pas, les promoteurs dans une prise de risque d’acheter des terrains aujourd’hui pour construire demain ? Le plan de relance que nous avons lancé avec In’li fin mars est là pour ça : donner un signe au marché et aux promoteurs, leur dire que nous sommes là, s’ils souhaitent continuer à se développer.

Et qu’en est-il, selon vous, de la configuration « géographique » du marché du logement ? Le mouvement de démétropolisation dont rêvent certains, est-il plausible ?

Il est difficile de se prononcer de manière certaine là aussi, on peut simplement envisager que la maison individuelle connaîtra un petit élan. Il n’est donc pas complètement impossible qu’on assiste à une petite tendance à la démétropolisation dans laquelle la forte accentuation du télétravail jouera un rôle. Il faut, malgré tout, être très prudent avant de faire des projections de ce type puisque l’on ne sait pas si, après tout, les Français ne vont pas très vite oublier cette période un peu particulière. L’obligation de vivre, de manière prégnante dans les années qui viennent, avec ces potentiels phénomènes aura, quoi qu’il en soit, un impact certain. Malgré tout, pour l’heure, l’emploi reste encore majoritairement dans les métropoles et le télétravail, au rythme d’un jour ou deux par semaine, ne modifiera pas de manière forte la donne. Mais surtout, cette crise ne doit pas faire oublier que l’enjeu des années qui viennent, à échéance 10, 20 ou 30 ans, reste l’enjeu environnemental. Et si le risque sanitaire est réel, l’enjeu majeur reste l’environnement. Or, les ennemis en la matière sont l’étalement urbain et la densité. Attention, donc, à ne pas s’engouffrer dans une brèche « maison individuelle, étalement urbain », car le risque de périurbanisation serait fort, au regard de la petite tendance qu’on certains maires à récuser la densité ; la pression de la demande en la matière peut être importante et se retrouver en contradiction complète avec les injonctions environnementales. Le risque sanitaire existe, sa perpétuation est très incertaine. Des crises d’une telle puissance dramatique restent épisodiques, mais le risque environnemental est, quant à lui, tout aussi puissant même s’il survient moins vite.

La digitalisation ne va-t-elle pas favoriser cette tendance à la démétropolisation ?

Tout est question de temporalité. Les grandes tendances démographiques ne se créent pas en quelques années, ce sont des phénomènes sur le temps long. Des éléments accélérateurs existent ou vont exister, comme cette crise sanitaire, mais le cœur du sujet reste l’emploi. D’évidence, la digitalisation permettra à certains de faire ce choix, mais, entre habiter une belle métropole et habiter à la campagne ou dans une ville moyenne, il y a quelques étapes. Cela se produira, mais reste à savoir quelle part de la population cela concernera.

Comment fait-on alors pour concilier cette injonction contradictoire de loger davantage de monde en évitant l’étalement urbain ?

Je reste convaincu que la ville doit rester la ville. On peut imaginer faire des villes à la campagne, la campagne à la ville, de l’agriculture urbaine, mais tout ceci doit être fait avec des pincettes. Le sujet n’est pas là : la ville est faite pour être dense et le refus de la densité en ville est une catastrophe environnementale. Lorsque le nombre d’habitants augmente, la densité par le haut est la seule solution.

Benoist Apparu (in'li) : "cette crise ne doit pas faire oublier que l'enjeu majeur est l'enjeu environnemental"