Globalement, quel regard portez-vous sur le marché locatif des surfaces de commerce tel qu’il s’est présenté depuis le début de l’année ?

Christian Dubois : le marché locatif a été relativement actif cette année avec, toutefois, des disparités selon les secteurs d’activité et la typologie de commerces.

Sur Paris, le marché locatif est porté par le luxe et l’influence des Jeux Olympiques sur les artères « prime », mais également en raison de la correction sur les valeurs locatives qui a rendu les emplacements plus abordables. Cette situation se vérifie moins sur les marchés en régions et sur les centres commerciaux, alors que la périphérie continue de faire preuve d’une remarquable stabilité de ses performances.

En termes d’activités, les secteurs les plus dynamiques sont le sport, le discount, le luxe et le « food & beverage ». A l’inverse, le mass-market de façon générale et, plus spécifiquement, le prêt-à-porter sont plus en souffrance.

Qu’en est-il pour les commerces en pieds d’immeubles ?

A Paris plus qu’en régions, la demande est très dynamique sur le format boutiques (surfaces inférieures à 600 m²). Les moyennes et grandes surfaces (supérieures à 600 m²) sont plutôt présentes à l’offre et vont le rester sur le moyen terme. Dans ce créneau de surfaces, des restructurations sont projetées après 2024. La période des Jeux Olympiques va constituer une parenthèse de quatre à six mois et suspendre les chantiers de restructuration et de construction avant de repartir en fin d’année…

On note, par ailleurs, une évolution de la fréquentation touristique très positive à Paris pour les artères commerçantes « prime ». Le bilan touristique de la Coupe du Monde de Rugby est très encourageant (+7 % de fréquentation en Ile-de-France sur septembre/octobre) et cette tendance devrait se prolonger dans les mois à venir…

Et dans les centres commerciaux ?

Concernant les développements, si la tendance se confirme, 2023 devrait être une petite année si l’on considère la surface nouvelle créée qui ne devrait pas représenter plus de 10 % des inaugurations planifiées sur l’année. L’essentiel des ouvertures 2023 concernent principalement des extensions ou des restructurations de sites existants.

King Jouets au 13-15, avenue des Ternes (17ème)…

Et, enfin, pour les « retail parks » ?

La périphérie a échappé aux tensions du marché locatif grâce à une remarquable stabilité de la demande et de l’offre.

L’année 2020 et la crise Covid ont, cependant, marqué le début du ralentissement des ouvertures de « retail parks » (manque de main d’œuvre, difficultés d’approvisionnement et restrictions d’accès au crédit). A cela s’ajoute l’effet progressif de la loi Climat de 2021 qui va se concrétiser, à court terme, par l’application du moratoire stoppant net les autorisations de créations de surface au profit des restructurations et rénovations.

Comment voyez-vous évoluer ce marché d’ici la fin de l’année et sur les premiers mois de 2024 ?

En centres-villes, l’année 2023 se termine par un grand nombre de transactions en pop-up dans la perspective des Jeux Olympiques. Ce format permet également aux enseignes qui souhaitent réaliser des travaux de rénovation de poursuivre leur activité à proximité de leur magasin. L’avenue des Champs-Elysées (8ème) a été le théâtre de ces vagues de pop-ups avec, par exemple, le transfert de l’Atelier Renault du numéro 53 de l’avenue au 33 ou celui de Grand Optical dans la Galerie des Champs pendant la rénovation du 128.

Pour 2024, le premier trimestre devrait encore connaître quelques opérations à « effet Jeux Olympiques ». Les deuxième et troisième trimestres devraient être plus calmes dans Paris, à l’exception du secteur « food & beverage » et de la périphérie. Le quatrième trimestre devrait voir le retour des commercialisations de grands projets à plus long terme…

… ou encore un pop-up à l’enseigne Rituals au 33, avenue des Champs-Elysées : deux exemples de transactions locatives en commerce bouclées par Cushman & Wakefield.

Quelle orientation pour les valeurs locatives ?

Depuis le réajustement constaté depuis la crise Covid sur les commerces de centre-ville (de -30 à -10 % selon les sites), les valeurs locatives font preuve d’une relative stabilité. On peut s’interroger sur le cas de l’avenue des Champs-Elysées avec l’acquisition du numéro 150 par LVMH qui pourrait tirer les valeurs vers le haut. Mais, d’une manière générale, il subsiste trop de questions sur l’évolution de l’inflation et de la consommation pour créer une dynamique à la hausse sur les loyers commerciaux.

En centres commerciaux, on ne constate pas de décote sur les loyers de renouvellements qui, pour les meilleurs emplacements, se sont alignés sur les loyers indexés.

En revanche, les négociations récentes avec engagements fermes intègrent quasi systématiquement la mise en place de mesures d’accompagnement de l’ordre de 12 à 15 % du loyer contractuel.

Quels résultats pour Cushman & Wakefield dans ce marché ?

Cushman & Wakefield a réalisé une très belle année 2022 et une année 2023 exceptionnelle grâce à l’obtention de mandats de commercialisation auprès d’institutionnels sur des axes « prime » parisiens. Ces mandats ont permis d’effectuer un certain nombre de transactions significatives depuis 2022. A titre d’exemple, citons la signature du premier magasin ON Running sur le marché Saint-Germain (6ème) ; celle d’un pop-up à l’enseigne Rituals sur le 33, avenue des Champs-Elysées ou encore l’ouverture du magasin Panerai au numéro120 de cette avenue.

Deux autres opérations sont, par ailleurs, en cours de signature sur cette même artère. A noter que sur un total de neuf transactions sur les Champs-Elysées, Cushman & Wakefield aura participé, directement ou indirectement, à sept d’entre elles !

Dans la lignée de l’année 2022 qui avait vu l’ouverture de Boulanger au 135-139, rue de Rennes (6ème), les enseignes de périphérie continuent de se développer en centre-ville avec, cette année, la signature de King Jouets sur le 13-15, avenue des Ternes (17ème).

En discount, l’enseigne Normal poursuit son expansion en France avec pas moins de 65 emplacements signés au cours des trois dernières années.

Enfin, sur le marché de la périphérie, citons la signature de Ubaldi dans la zone de la Croix Blanche, à Sainte-Geneviève-des-Bois (91).

Quelles nouvelles demandes ?

La perspective des Jeux Olympiques a suscité l’intérêt d’un certain nombre d’enseignes étrangères qui profitent de cette émulation pour lancer leur implantation en France. On peut citer les enseignes ON Running, Palm Angels, Cupra, Hoka, Laderach Tempur, Aesop, Tedi…

Plus globalement, quelle stratégie de développement pour Cushman & Wakefield dans ce marché ?

Cushman & Wakefield se positionne comme le conseil généraliste en immobilier de commerce partout en France : centres commerciaux, « retail parks », commerces de centres-villes, luxe et « food & beverage ». L’activité s’est principalement concentrée, en 2022 et 2023, sur des stratégies d’implantation en centres-villes et flagships. 2024 nous amènera à nous concentrer aussi sur le « food & beverage » et les marchés régionaux (y compris la périphérie), tout en maintenant, dans une vision moyen/long terme, un relationnel constant et une veille de marché pour nos clients institutionnels.

Le créneau de l’investissement en surfaces de commerce semble résister. Qu’en est-il ?

Vanessa Zouzowsky : en effet, le « retail » occupe depuis 2022 une part significative des volumes transactés en immobilier d’entreprise banalisé avec un quart des montants investis (18 % sur dix ans), illustrant le fait que le « retail » résiste mieux que d’autres secteurs.

Cette performance s’inscrit dans un marché global de l’investissement en immobilier en repli de près de 60 % d’une année sur l’autre. En commerces, avec un volume estimé aux alentours de 3 milliards d’euros, le recul est moins violent avec un peu moins de 50 %. 2023 marque, ainsi, un coup d’arrêt important dans la dynamique transactionnelle en commerce depuis dix ans (4,9 milliards d’euros en moyenne) et fait revenir le volume investi à des niveaux préalables à 2014 (moyenne aux alentours de 2,9 milliards d’euros).

Quelles perspectives pour ce marché de l’investissement en commerce dans les mois à venir ?

Il est difficile d’appréhender les volumes sans parler des taux de financement. L’Euribor devrait avoir atteint un pic aux alentours de 4 % en octobre dernier et semble se stabiliser depuis.

Les premiers mois de 2024 devraient s’inscrire dans la lignée de 2023 en attendant une compression explicite des taux de financement. Néanmoins, il existe quelques transactions d’envergure dans le pipeline qui pourraient faire basculer les volumes…

La vente par CNP Assurances d’un portefeuille de cinq centres outlet exploités par Marques Avenue au groupe Mata Capital…

Quelle orientation pour les taux de rendement ?

La correction des taux de rendement en « retail » a déjà débuté il y a quelques années, avant la crise Covid pour les commerces de centres-villes et les centres commerciaux et plus tardivement pour les « retail parks ». Les taux devraient désormais se stabiliser dans le courant de l’année 2024 grâce à la stabilisation attendue des taux de financement.

De nouveaux mandats de vente ?

En 2023, Cushman & Wakefield a participé à la réalisation de près de 800 millions d’euros d’investissements, dont deux transactions de plus de 200 millions : l’acquisition conjointe par Ingka du centre commercial « Italie 2 » auprès de Hammerson et AXA, et de son extension « Italik », anciennement propriété de Hammerson, et la vente par CNP Assurances d’un portefeuille de cinq centres outlet exploités par Marques Avenue au groupe Mata Capital.

… ou encore l’acquisition conjointe par Ingka du centre commercial « Italie 2 » auprès de Hammerson et AXA, et de son extension « Italik » : deux exemples de transaction à l’investissement signée Cushman & Wakefield dans les commerces.

Pour 2024, nous avons trois mandats sur le segment des grands volumes, le solde portant majoritairement sur des volumes plus réduits, inférieurs à 50 millions d’euros, dans la lignée de l’activité constatée en 2023. Nous sommes présents sur toutes les typologies commerciales.

Christian Dubois et Vanessa Zouzowsky (Cushman & Wakefield) : l’immobilier de commerce « résiste mieux que d’autres secteurs »…