Pouvez-vous dresser un bilan de l’activité des centres commerciaux pour l’année 2023 ?

L’activité devrait être similaire à celle de l’année dernière. Ainsi, même si 2023 ne sera pas une année de forte progression, 2022 l’a été (année de rebond après la crise sanitaire), ce qui est plutôt encourageant. En revanche, une partie des opérateurs ont malheureusement quitté le marché, comme San Marina, Naf Naf, Camaïeu… Les victimes du Covid sont nombreuses. Mais d’un point de vue général, la résistance est bonne, la résilience réelle.

Diriez-vous que le « milieu de gamme » a moins bien résisté que d’autres catégories, telles que le « discount » ou le luxe ?

Même s’il s’est accéléré au cours de la période post-Covid, ce phénomène n’a rien de nouveau. L’entrée de gamme fonctionne, en effet, très bien pour les raisons que l’on devine, ce qui fait le succès d’enseignes telles qu’Action ou Chaussea. A l’autre extrémité, le luxe a aussi toujours son public et bénéficie du retour du tourisme. Sur le milieu de gamme, il existe une suroffre et un positionnement pas toujours lisible pour les consommateurs de la part de certaines enseignes. Dans le contexte d’une baisse généralisée de la consommation, certaines enseignes étaient trop justes et ne disposaient pas d’une assise suffisamment solide pour résister.

D’après vous, les investisseurs seront-ils toujours au rendez-vous à horizon trois ans ?

Déjà, il y a beaucoup moins d’acheteurs aujourd’hui qu’à une certaine époque. Il n’y a pas si longtemps, lorsqu’un actif était mis sur le marché, une grosse compétition faisait rage pour le racheter. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pour autant, le marché va continuer de tourner, que ce soit à l’acquisition ou à la vente. Parmi les profils d’acheteurs, il y a les utilisateurs purs, un profil dans lequel s’inscrivent Ingka Groupe (rachat d’Italie 2 en mars), LVMH (101, avenue des Champs-Elysées) ou Kering (ensemble Castiglione/rue Saint-Honoré). Ces opérations de rachats au sein d’immeubles ou de complexes « vitrine », réalisées à prix fort, permettent aux acquéreurs d’avoir de nouvelles façades pour afficher leurs enseignes et leurs marques. Ces localisations « prime » répondent évidemment à une stratégie. Citons aussi le Groupe Frey, qui a acquis le centre commercial Polygone Riviera le mois dernier, ou encore AEW et son rachat de Passy Plaza.

Existe-t-il un autre profil d’acquéreurs ?

Oui, à l’image des fonds d’investissement ou des « family offices ». Ces derniers ont plutôt une vision opportuniste en voulant profiter de « belles affaires » ou de prix dévalués sur certains actifs. C’est ce qu’a fait le groupe Strauss, à Valenciennes (59), en rachetant un actif de centre-ville de 17 000 m2 pour moins de 50 millions d’euros. Klépierre présente le même profil quand il se positionne sur O’Parinor, à Aulnay-sous-Bois (93), à un prix assez intéressant.

Le centre commercial traditionnel doit-il être repensé ?

Contrairement à ce qui peut s’entendre, je ne pense pas que le modèle du centre commercial dit traditionnel soit dépassé. J’en veux pour preuve sa fréquentation, qui est de nouveau au rendez-vous. Après, il est évident que c’est un modèle qui a une cinquantaine d’années et qui a besoin de se régénérer, de se repenser, de se réinventer. C’est notre travail de gestionnaire que d’accompagner cette mutation. Nous sommes passés d’un modèle purement porté sur la consommation à un autre qui doit faire la part belle à l’expérientiel, via des offres de restauration, de loisirs… Pour aller encore plus loin, les cabinets médicaux dans les centres commerciaux sont en passe d’effectuer un « come-back », ce qui montre bien que nous assistons à un renouveau du modèle traditionnel. Au sein du centre commercial d’Evry 2, par exemple, les clients peuvent disposer d’une patinoire, d’une piscine, de voiturettes pour enfants… C’est cette dimension expérientielle qu’il faut mettre en avant !

Dans un autre registre, certains élus affirment publiquement vouloir en finir avec les centres commerciaux périphériques qu’ils assimilent à des ensembles inesthétiques représentatifs de cette « France moche » qu’ils souhaitent bannir. Que leur répondez-vous ?

Qu’il est tout à fait possible de bien fonctionner commercialement, d’être un opérateur indispensable de l’économie locale, tout en étant élégant d’un point de vue architectural et urbanistique. Il est aussi important de décloisonner les centres commerciaux qui avaient initialement été conçus comme repliés sur eux-mêmes, pas réellement intégrés à leur environnement. Pour revenir à l’exemple d’Evry 2, la zone de restauration est ouverte sur l’extérieur, tournée sur une place publique. Les centres commerciaux de demain peuvent totalement s’inscrire dans le modèle d’une France belle et moderne, ce n’est pas antinomique.

D’après vous, à quoi va ressembler le centre commercial de demain ? Le modèle des promenades à ciel ouvert va-t-il devenir hégémonique au point d’éclipser le modèle traditionnel fermé ou cela n’est-il pas inéluctable ?

Je ne dirais pas qu’il existe un seul modèle amené à être hégémonique, pour la simple raison qu’un centre commercial est un objet qui se réfléchit et se conçoit à l’échelle locale. Il s’inscrit dans un environnement, une connectivité environnante, un secteur délimité. Je pense même qu’il y aura de plus en plus de modèles sur-mesure. Il ne faut pas oublier que le Zan va inéluctablement donner une prime à l’existant, avec des redéveloppements/restructurations qui tiendront encore davantage compte des lieux d’implantation initiaux. Un modèle fermé peut être pertinent à certains endroits, mais pas à d’autres ; idem pour le modèle ouvert. Après, comme indiqué, une dimension servicielle est incontournable avec, pourquoi pas, de l’hôtellerie ou du coworking dans les centres commerciaux de demain. Le but étant, encore et toujours, de se réinventer !

Florent Vallon (SCC) : "la résilience des centres commerciaux est réelle !"