L’actionnariat de CEI a récemment été modifié. Qu’en est-il ?

Jacques Patron : il faut, d’abord, préciser que la société d’expertise CEI (Conseils Evaluations Immobilières), qui n’a pas de carte de transaction et ne participe pas aux financements, a été créée en 2006 avec comme crédo : compétence et indépendance.

En 2016, CEI, qui travaillait déjà pour la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), a cédé la totalité de son capital à une filiale de la CDC, en l’occurrence la SCET. A l’époque, l’une des principales activités de cette dernière était axée sur l’aménagement foncier qui génère, par nature, des expertises immobilières. Nous avons vu là une source de synergie forte. Cependant, la SCET a été amenée à céder cette activité. Du coup, avec Eric Delépine et Baptiste Franceschi, nous avons décidé d’approcher la CDC afin de racheter l’intégralité des parts de CEI. Ce qui a été fait en juin dernier, sachant qu’Eric Delépine, qui a pris la présidence de CEI, et Baptiste Franceschi, la direction générale, détiennent la majorité des parts.

Eric Delépine : nous avions comme principaux objectifs de mieux marquer notre indépendance, mais également d’ouvrir une perspective entrepreneuriale à l’équipe. Résultat : sur la douzaine de collaborateurs que compte CEI, une dizaine sont, désormais, associés. En soulignant que la CDC a compris ce projet et que les banques nous ont suivis, alors même qu’une société d’expertise immobilière et de conseil n’est propriétaire d’aucun actif ! Et pour nos clients, ce rachat est non seulement un gage d’indépendance, mais également d’implication…

Aujourd’hui, quelles spécificités pour CEI ?

Eric Delépine : CEI se présente, aujourd’hui, comme la seule société d’expertise immobilière totalement indépendante et au sein de laquelle la totalité des experts est associée.

Par ailleurs, CEI, en tant que technicien d’évaluations immobilières, accompagne de grandes entreprises lorsque celles-ci travaillent sur des missions d’ordre général plutôt technique qui englobent des sujets immobiliers. C’est, par exemple, le cas avec le bureau d’études Egis, Quardina (ex-Qualiconsult), Une Fabrique de la Ville ou encore Systra, une filiale de la RATP. Autant d’exemples qui illustrent notre volonté de travailler en équipe comme nous le faisons en matière de pré contentieux ou de contentieux en rassemblant avocats, prestataires techniques, bureaux d’étude…

Jacques Patron : à propos de grandes entreprises, nous travaillons également sur des sujets de calcul d’indemnités d’expropriation ou de renégociations de baux avec des groupes tels que Saint-Gobain, Casino…

Eric Delépine : autre spécificité de CEI, outre son activité d’expertise immobilière, notre cabinet développe également son activité de conseil, plus particulièrement suivie par Baptiste Franceschi. Et ce, notamment sur l’aspect accompagnement des entités publics dans l’analyse de leurs conditions locatives jusqu’à la renégociation des baux. L’objectif vise, bien sûr, à optimiser la gestion de l’immobilier de l’Etat. Pour ce faire, différents marchés emblématiques ont été remportés. Après avoir accompli Optibaux 2, nous venons de gagner Optibaux 3. Autre exemple avec Pôle Emploi que nous accompagnons dans la renégociation de ses baux, ce qui concerne plusieurs dizaines de sites dans l’Hexagone… Nous tenons à cette double compétence expertise/conseil et public/privé.

Quel regard portez-vous sur le secteur de l’immobilier d’entreprise, aujourd’hui ?

Eric Delépine : le marché a profondément évolué en quelques mois avec la hausse des taux d’intérêt, la crise du logement, celle des bureaux périphériques dûe au télétravail ou encore la baisse importante des investissements compte tenu des difficultés de financement. Nous considérons qu’il en résulte un état économique qui devrait s’inscrire dans la durée car ce sont des taux d’intérêt aux alentours de 1 % qui constituaient une anomalie… Aujourd’hui, dans le cadre d’une économie à inflation durable et de la nécessité de rémunérer les capitaux qui prennent des risques, les taux de rendement vont mécaniquement augmenter et les valeurs diminuer d’autant. Le processus est engagé et nous semble effectivement assez durable…

D’ailleurs, les autorités en ont bien conscience à l’exemple d’une grande banque internationale qui nous a demandé, à la requête de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers, ndlr), de vérifier la valorisation de plusieurs dizaines d’immeubles logés dans une SCPI, expertisés par deux grandes sociétés de la place… Autant dire que la correction des valeurs est inévitable.

De quel ordre s’agissant des bureaux ?

Eric Delépine : d’abord, les périodes de crise ont cela d’intéressant qu’elles nettoient le marché de ses excès. Mais comme toujours, la correction s’interprète actif par actif, intimement liée à leur situation, leur qualité intrinsèque… Cette correction semble, par exemple, plus limitée s’agissant des bureaux dans Paris QCA où les problèmes de commercialisation apparaissent limités, avec même des possibilités d’augmentation de loyers… En revanche, il en va tout autrement des immeubles de bureaux en seconde couronne, par exemple, pour lesquels on peut s’interroger sur les locataires potentiels, tout comme les investisseurs intéressés, sans parler des conséquences du Décret Tertiaire… On risque de voir des immeubles et même des secteurs sinistrés et d’autres qui résistent.

Jacques Patron : ce qui crée la valeur, dans une conjoncture pas si incertaine puisque l’orientation est connue, reste la sécurité, donc la qualité du preneur et la durée ferme du bail. Ce qui vaut d’autant plus que, parallèlement, la valeur des actifs risqués est incertaine. La crise reste un révélateur des bons et des moins bons actifs.

Eric Delépine : dans cette conjoncture qui devient difficile, la notion d’indépendance de l’expert, qui doit raisonner en termes de valeur sur le moyen terme et non en termes de prix immédiat basé sur des termes de comparaisons d’une conjoncture passée, est plus que jamais requise…

Cette correction a-t-elle été réalisée dans les bureaux ?

Jacques Patron : elle est en cours faute d’un nombre de transactions suffisant. Elle a ainsi été réalisée par dose homéopathique et théorique dans certaines SCPI. Mais les « opérations chirurgicales » vont devoir se faire d’ici la fin de l’année…

Eric Delépine : sans compter une évolution que l’on ne maîtrise pas, qui est celle de la conjoncture économique générale pouvant entraîner un nouvel effet sur la baisse des prix de l’immobilier…

Quelle situation pour les commerces ?

Jacques Patron : les locataires proviennent majoritairement des secteurs du prêt-à-porter, qui souffre, et de l’alimentaire, aux très faibles marges. Donc, de plus en plus d’emplacements secondaires vont se trouver délaissés et les bailleurs ne pourront pas échapper à une négociation avec les preneurs afin d’ajuster le taux d’effort (le loyer auquel s’ajoutent les charges et les taxes) des locataires à leurs chiffres d’affaires prévisionnels. Il n’est pas impossible de penser qu’une forme de partenariat va devoir s’établir entre bailleurs et preneurs pour ajuster le taux d’effort de ces derniers à leur activité.

Un mot sur l’habitation ?

Eric Delépine : la promotion neuve est quasiment à l’arrêt avec -38 % de mises en vente sur un an pour de multiples raisons ; l’activité dans l’ancien est en forte décroissance compte tenu des conditions de financement, ainsi que des prix qui n’ont pas encore significativement baissé en raison du phénomène habituel de latence. Quant à l’investissement locatif, il se révèle également en difficulté par la surfiscalité, des blocages de loyers dans certaines villes, ainsi que la réglementation thermique doublement coûteuse…

Certains experts s’inquiètent de la juste rémunération de leur travail. Qu’en pensez-vous ?

Eric Delépine : nous aussi ! On voit trop d’expertises « low cost » rémunérées quelques centaines d’euros pour des sujets extrêmement complexes, ce qui constitue une source d’erreur. Chez CEI, nous avons beaucoup investi dans nos outils de travail, sources de données, outils de calcul… Mais ensuite, notre approche, plutôt qu’industrielle, reste sur-mesure. L’équipe est constituée d’experts compétents, qualifiés et certifiés, outre la nécessaire expérience dans l’appréciation des marchés immobiliers qui permet d’aboutir à une valeur sérieuse et justifiée. Il en va de la fiabilité de l’information qui résulte de l’expertise, mais également de la crédibilité de notre métier…

Jacques Patron et Eric Delépine (CEI) : « le rachat de CEI par ses dirigeants et salariés, gage d’indépendance, mais aussi d’implication »…