Vous avez pris les rênes de JLL France à un moment où les marchés en immobilier d’entreprise sont fortement «déprimés». Comment analysez-vous ce challenge ?

J’aborde ce challenge sereinement, consciente de la valeur de la marque JLL, du professionnalisme de nos collaborateurs, de la qualité de notre data et de notre capacité à innover. Nous disposons de tous les éléments pour accompagner au mieux nos clients.

Quel regard portez-vous sur le marché locatif tertiaire tel qu’il s’est présenté l’an passé ?

L’inflation, la poursuite de la hausse des taux directeurs et les tensions internationales ont ébranlé la dynamique du marché tertiaire. L’incertitude née de ce contexte, associée à la hausse des coûts, a directement impacté les délais et prises de décision des utilisateurs dans la mise en œuvre de leurs stratégies immobilières. Les grandes transactions ont ainsi manqué. L’année 2023 est, par ailleurs, restée marquée par une nette segmentation du marché, avec une recherche de centralité de la part des entreprises et une appétence marquée pour les actifs de première main, en lien avec les enjeux RSE, participant à la poursuite de la hausse des valeurs locatives dans les marchés les plus établis. Enfin, l’organisation du travail reste un sujet d’actualité pour nombre d’entreprises ; depuis septembre 2023, les annonces d’entreprises souhaitant faire revenir leurs équipes au bureau se multiplient (car trop de télétravail nuit à la productivité comme l’a démontré une étude de l’OCDE de juillet 2023), et l’on observe un « downsizing » moins important (26 %, en moyenne, aujourd’hui, contre 31 % il y un an), certains « corporates » ajoutant, juste avant le « closing » des transactions, des mètres carrés supplémentaires (prévision de croissance, plus d’espaces serviciels).

Comment voyez-vous évoluer ce marché cette année ?

2024 devrait marquer le retour d’une meilleure visibilité, permettant aux investisseurs et entreprises de mettre leur stratégie immobilière en œuvre. Sur le marché locatif, 2024 sera l’année de la concrétisation des politiques de retour au bureau, basées sur une meilleure évaluation des besoins immobiliers grâce à l’expérience acquise depuis deux ans. Cette année sera également à la croisée des chemins entre politique de rétention des talents et réalisme économique. Les immeubles situés dans les territoires les plus offreurs et bénéficiant d’une bonne desserte en transports en commun constituent de véritables opportunités pour des entreprises souhaitant concilier attraction des talents, confort des salariés et maintien de leur marge. Les entreprises ayant subi des indexations de loyer importantes auront, par ailleurs, probablement la volonté de mieux se reloger et à des loyers de marché. Ces mouvements pourraient être favorables aux marchés de périphérie disposant d’une bonne desserte en transports en commun.

Et celui de l’investissement ?

Pour l’investissement, 2024 sera l’année du début du retournement de cycle. La fin de la hausse des taux directeurs permet le retour d’une certaine visibilité quant aux prix. Ces conditions plus lisibles vont favoriser progressivement l’entente entre vendeurs et acheteurs comme le démontrent les récentes discussions avec nos clients. Nous prévoyons ainsi une légère augmentation des investissements en immobilier banalisé cette année. Les taux de rendement ont, eux, probablement atteint leur pic fin 2023.

Un mot sur les marchés des commerces et de la logistique ?

Les marchés des commerces et de la logistique ont, eux aussi, été impactés par le contexte économique mitigé que nous avons connu en 2023. L’inflation a, en effet, directement impacté la confiance des ménages et leur pouvoir d’achat, les rendant peu enclins à consommer. L’activité des magasins s’est ainsi dégradée l’an passé avec une augmentation en valeur de +1,3 % seulement pour l’ensemble du commerce spécialisé, ce qui traduit une réduction des volumes vendus compte tenu des augmentations de prix. Les centres commerciaux ont, en revanche, affiché des résultats positifs, que ce soit en matière de fréquentation ou de performance. Le secteur de l’habillement reste, par ailleurs, en grande difficulté, comme en témoignent les nouvelles fermetures d’enseignes recensées en 2023.
Sur celui de la logistique, si 2023 a marqué une baisse de 24 % par rapport à une année 2022 particulièrement dynamique, les 3,5 millions de mètres carrés commercialisés constituent une performance conforme à la moyenne de long terme. Ce maintien de l’activité se confirme d’ailleurs dans le nombre de transactions (222), qui est supérieur de 22 % à la moyenne. On note, cependant, une configuration de marché particulière cette année, avec une baisse de l’activité sur les marchés de la Dorsale, qui continuent de souffrir d’une pénurie d’offres disponibles et de la raréfaction des fonciers à viabiliser pour construire de nouvelles plateformes logistiques, et dont les valeurs locatives ont fortement augmenté.

Dans ce contexte, qu’en est-il des autres activités de JLL, hors la transaction ?

En France, nous avons une répartition équilibrée de nos activités entre le conseil et la transaction, ce qui nous met en capacité de proposer des services intégrés et complémentaires. Ainsi, les équipes « project & development services », AMO et « design & build » (Tétris) ont été très actives tout au long de l’année 2023 pour accompagner les clients dans la gestion de leurs projets, le design et l’aménagement. Le conseil en stratégie de développement durable, sur lequel nous avons particulièrement investi et recruté, s’est développé face à la demande croissante des investisseurs soucieux de répondre aux nouvelles obligations réglementaires (CSRD, matrice double matérialité…). Certains secteurs ont également tiré leur épingle du jeu (hôtels, « life sciences », enseignement supérieur…). Enfin, je souhaite citer l’expertise (« value & risk advisory ») qui continue de jouer un rôle clé dans notre service intégré aux clients et ce, d’autant plus dans le contexte actuel où les investisseurs et les occupants recherchent des évaluations précises pour naviguer dans un marché fluctuant.

Quelles réponses aux nouvelles demandes des utilisateurs ?

Grâce à notre département recherche qui nous fournit des analyses, des tendances et une vision prospective des attentes des salariés et des entre- prises, nous sommes en capacité d’anticiper les nouvelles dynamiques du monde du travail et les besoins qui émergent. Nos services incluent des stratégies d’occupation dynamiques qui alignent l’espace de bureau sur les besoins évolutifs des employés et les objectifs de l’entreprise, l’analyse de données pour comprendre et prévoir l’utilisation de l’espace et le conseil sur des environnements de travail sains, inclusifs et productifs qui favorisent le bien-être des employés.
En outre, avec le développement du télétravail et le souhait des entreprises de faire revenir au bureau leurs collaborateurs, les dimensions servicielle et expériencielle sont devenues clefs. Nos équipes ont ainsi développé une offre « parcours et service » pour donner envie aux équipes de passer davantage de temps au bureau.
Enfin, les entreprises – en particulier les grands groupes qui ont pris des engagements de neutralité carbone à travers des objectifs SBTi, recherchent activement des immeubles de bureaux bénéficiant de labels.

Après votre salle immersive NXT pour les utilisateurs, puis les investisseurs, de nouvelles innovations en matière de conseil ?

Convaincus que la technologie et la data sont des outils puissants pour optimiser nos services et créer de la valeur pour nos clients, nous sommes constamment à la recherche de nouvelles innovations pour améliorer notre offre de conseil. Nous avons lancé, parallèlement au déploiement de JLL GPT, plusieurs initiatives basées sur l’IA (intelligence artificielle, ndlr) : Horizon, un outil utilisé par nos équipes d’investissement pour accompagner nos clients dans l’optimisation de leur portefeuille d’actifs. En croisant des données issues de sources variées, Horizon nous permet d’anticiper les mises en vente potentielles d’immeubles. Autre initiative: Hank, une plateforme de gestion intégrale du système de chauffage, de ventilation et de climatisation d’un bâtiment visant à offrir un confort amélioré, une meilleure qualité de l’air et des économies d’énergie. Hank permet ainsi de réduire d’environ 50 % la consommation énergétique des bâtiments, grâce à un contrôle direct de l’IA, avec un impact mesurable sur les émissions de gaz à effet de serre. Et Qbiq, une solution qui, en quelques secondes, traite des centaines de scénarios de design et génère le meilleur plan d’aménagement de bureaux et des visites virtuelles en 3D alimentées par l’IA.

« Les entreprises – en particulier les grands groupes – qui ont pris des engagements de neutralité carbone à travers des objectifs SBTi, recherchent activement des immeubles de bureaux bénéficiant de labels »

Plus généralement, quelle stratégie de développement pour JLL en France ?

La stratégie de développement de JLL en France s’articule autour de trois piliers que sont les collaborateurs, le développement durable et la technologie. Ensemble, ces trois piliers clefs permettent de garantir un service à très haute valeur ajoutée pour nos clients.

Nous continuons à former nos collaborateurs et à leur proposer des parcours de carrière attractifs, en les accompagnant que ce soit à Paris ou en régions, puisque nous sommes implantés dans les principales métropoles régionales où nous poursuivons notre développement.

Pour nos clients, nous continuons de viser l’excellence sur tous nos métiers, valeur clef de JLL, pour une satisfaction client en progression. Nous suivons ainsi annuellement leur niveau de satisfaction via le NPS (« net promoter score »). Cet indicateur, lancé en 2020, n’a fait que s’améliorer et nous le surveillons avec attention pour être toujours aux plus près des besoins de nos clients.

Sur le volet développement durable, nous déployons des offres spécifiques (« Sustainability consulting », labels et certifications, régénération d’actifs, ingénierie et « smart building », « Re-use » pour le réemploi de matériaux au sein de notre filiale Tétris…) ou bien intégrons cette dimension dans chacun de nos services (baux verts dans les métiers du leasing, par exemple). Nous avons ainsi lancé récemment un indicateur ESG qui donne une grille de lecture d’un immeuble et de ses usages, basée sur un équilibre entre les dimensions ESG (environnement, social, gouvernance).

Sur le volet technologie, nous considérons que l’intelligence artificielle est l’élément le plus transformant pour les entreprises dans les dix ans à venir. Les métiers qui seront le plus fortement impactés seront ceux fonctionnant avec de la data. L’immobilier, et notamment les métiers d’inter- médiation qui y sont liés, seront particulièrement bouleversés, mais aussi augmentés grâce à l’IA. Raison pour laquelle nous avons déjà pris le tournant de l’IA en formant nos collaborateurs à l’usage de JLLGPT, la version sécurisée de ChatGPT développée en interne. Ce pilier technologique est au cœur de notre stratégie et nous permet de fournir des analyses de données avancées et des solutions immobilières efficaces et durables.

Globalement, quels sont vos objectifs pour JLL France ?

Etre le conseil préféré de nos clients ! En leur apportant le conseil le plus pertinent, le service adapté à leurs besoins et avec la plus forte valeur ajoutée. C’est ainsi que nous créons des relations de confiance et de long terme. Et dans ce contexte incertain, pouvoir compter sur une marque fiable et durable est primordial. Pour ma part, je travaille chez JLL depuis 25 ans et j’ai à cœur de partager les valeurs d’éthique, d’esprit d’équipe et d’excellence qui nous animent. Ces prérequis étant posés, nous aspirons à apporter des solutions innovantes et responsables à nos clients, tout en les aidant à atteindre leurs propres objectifs en termes de durabilité et d’impact social et environnemental. En effet, notre objectif est de continuer à leur fournir un conseil éclairé, afin qu’ils prennent les meilleures décisions (investissement, rénovation, déména- gement, implantation, aménagement…). Nous souhaitons continuer à jouer un rôle significatif, aux côtés de tout notre écosystème sectoriel et auprès des pouvoirs publics, pour partager les meilleures pratiques en matière de développement durable, afin d’accompagner notre secteur dans sa transformation.

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