Comment se (com)porte le marché locatif tertiaire francilien ?

Trois nouvelles données sont, selon nous, à prendre en compte pour analyser ce marché : la crise sanitaire qui entraîne un décalage des projets parce qu’elle introduit de l’incertitude ; le flex office qui amène les entreprises à réinterpréter le bureau et le télétravail avec ses conséquences sur la dimension des projets.

Nous avons démarré l’année 2020 avec un volume de demandes historiquement élevé et ce, quels que soient les créneaux de surfaces. Mais avec la crise sanitaire, ces projets sont soit décalés – sur l’année en cours, mais aussi en 2021 et 2022 – et pour ceux lancés cette année, ils sont redimensionnés. Ainsi, l’ensemble des projets que nous suivons, quel que soit le secteur d’activité de l’utilisateur, ont fondu de 25 à 30 % en terme de surface. Une conséquence directe de l’incertitude liée à la crise sanitaire et ses conséquences. Les entreprises sont souvent bien en peine de déterminer leur niveau d’activité à venir. Sans compter que les mesures sanitaires et le développement du télétravail vont entraîner une mutation structurelle de l’organisation des entreprises.

Un contexte dans lequel le marché locatif tertiaire cherche ses marques. S’il est encore difficile de déterminer les réels effets de ces diverses évolutions sur la demande placée, nous estimons que son volume devrait évoluer, pour l’ensemble de l’année, entre 1,3 et 1,5 million de mètres carrés commercialisés. Dans ce cadre, nous anticipons, pour notre part, une mutation du marché qui va prendre plus en considération l’expérience bureau…

Qu’entendez-vous par là ?

Que vient-on chercher au bureau ? : c’est la question que se posent et vont se poser un grand nombre d’utilisateurs. Avec, bien entendu, les conséquences quant à l’aménagement des bureaux qui en découle. Il est clair que l’on va favoriser, à l’avenir, les lieux d’échanges et de collaboration, parce que l’on s’est rendu compte que ces espaces priment dans le lieu physique que représente le bureau. Mais les mesures sanitaires actuellement en vigueur viennent, pour l’instant, contrecarrer la mise en œuvre de ce type d’évolution…

En revanche, il est certain que le télétravail favorise un peu plus de bien-être et un peu moins de carbone, ainsi qu’une certaine productivité. Mais il n’est pas adapté à tous les métiers, ni toutes les industries ni ne concerne toutes les catégories de collaborateurs. Un exemple : un jeune en télétravail peut perdre beaucoup en matière de transmission du savoir dont il bénéficie au bureau. Vice-versa, un senior peut, pour sa part, se considérer moins mis en avant lorsque la transmission du savoir est fragilisée par la pratique du télétravail. A ce propos, en étudiant, chez JLL, le nombre idéal de jours de télétravail dans l’entreprise, nous avons constaté, au-delà de deux journées par semaine, une réelle perte de synergie, d’innovation et d’ouverture sur les autres métiers ou départements qui ne sont pas au cœur du métier du télétravailleur. Autant dire que, si le collaborateur peut être plus productif en télétravail, l’entreprise, de son côté, peut y perdre en matière de créativité et d’innovation.

Ces nouvelles tendances auront, inévitablement, un impact sur l’immobilier de bureau. Mais elles ne signifient pas, pour autant, que les entreprises consommeront moins de mètres carrés. En revanche, elles les consommeront mieux à terme. C’est pourquoi nous parlons de modification structurelle de l’organisation des entreprises…

Toujours est-il que, pour l’instant, le créneau des grandes surfaces semble particulièrement à la peine ?

A fin août, nous n’avons enregistré que 14 transactions de plus de 5 000 m2, contre une soixantaine en 2019. Et hormis trois transactions de 20 000 m2 ou plus (sans compter la transaction de 20 000 m2 que nous avons réalisé au cours de l’été avec un grand groupe du numérique !), toutes les autres portent sur des surfaces inférieures à 11 000 m2. Une situation, effectivement, totalement inédite sur le marché. Dans ce contexte, nous anticipons 25 transactions supérieures à 5 000 m2 actées sur l’année, contre 84 en 2019.

Toujours sur les huit premiers mois de l’année, 818 000 m2 de bureaux ont été commercialisés en Ile-de-France, contre 1 482 000 m2 l’an passé. Soit une chute de 45 % de la demande placée, dont une baisse de 49 % dans le créneau des surfaces de plus de 5 000 m2 ; de 45 % dans celui des 1 000/5 000 m2 et de 40 % s’agissant des surfaces inférieures à 1 000 m2. Au total, nous tablons, pour l’ensemble de l’année, sur 1 325 000 m2 commercialisés, contre 2,5 millions en 2019. La conséquence inéluctable des reports, redimensionnements…

Quelle orientation pour les valeurs locatives ?

Cette année, les valeurs locatives dans Paris devraient se stabiliser, tandis qu’elles devraient baisser en 1^ère couronne, tout simplement parce que le niveau de vacance n’est pas le même. Néanmoins, globalement, les taux de vacance se situent, dans l’ensemble, à des niveaux relativement bas et de nombreux baux longs ont été signés. Donc, cette baisse des valeurs locatives devrait surtout se traduire par un accroissement des mesures d’accompagnement pour aider les entreprises dans ces moments d’incertitude. Des entreprises qui, à l’avenir, ne devraient pas toutes connaître un même rythme de croissance. D’un côté devraient figurer les sociétés de secteurs tels que la santé, la communication, celles intervenant dans l’échange d’informations et de la data…, qui vont voir s’ouvrir de nouvelles opportunités de développement. Et, de l’autre, les sociétés carbonées, souvent des firmes de mouvement, à l’exemple du transport, de l’automobile, du secteur du voyage…, sans parler du secteur pétrolier. Ces sociétés traditionnelles, installées depuis longtemps sur un « modèle carboné », vont devoir se réinventer par rapport aux nouveaux enjeux qui s’ouvrent à nous…

A propos de prospective, comment voyez-vous évoluer la demande placée ?

L’an prochain, la demande placée ne devrait pas renouer avec sa moyenne décennale qui tourne autour des deux millions de mètres carrés. Pour notre part, nous travaillons sur le scénario d’une demande placée aux alentours d’1,8 million de mètres carrés. Parce que nombre d’entreprises devraient souhaiter redessiner leurs sièges sociaux et qu’en Ile-de-France, nous travaillons sur un parc conséquent, qui implique du mouvement quel que soit le contexte économique.

En revanche, pour 2022, nous tablons sur une demande placée qui devrai tangenter les 2,2 millions de mètres carrés. Avec une tendance de fond : la montée en puissance des métropoles régionales, Lyon, Lille, Bordeaux ou encore Rennes en tête.

Quelles résultats pour JLL dans ce marché ?

Toutes les équipes se sont fortement mobilisées au cours de la période de confinement et, dès le premier jour, nous disposions des outils permettant de signer de nouveaux mandats, des baux, mais également de poursuivre nos visites virtuelles via notre outil NxT. Fort d’un travail de fond qui n’a donc pas cessé, nos résultats sont bons dans ce contexte et n’ont pas suivi ceux du marché. Surtout, nous travaillons sur de nouveaux services aux entreprises. Nous avons ainsi mis en place une offre baptisée « Re Imagine » afin d’accompagner les utilisateurs dans la définition de leurs nouveaux besoins et de leurs nouvelles envies de vivre le bureau. Nous nous concentrons également beaucoup sur les services liés à l’aspect environnemental de leurs décisions immobilières…

De exemples de transactions réalisées ?

Depuis le début de l’année, nous avons bouclé quatre transactions de plus de 5 000 m2, dont Morning Coworking pour 6 000 m2 dans l’Hôtel de la Marine, Goldman Sachs pour 6 300 m2 au « 83 Monceau », une grande société pour 20 000 m2 à La Défense ou encore l’acquisition par une société française de 6 500 m2 dans le 15^ème arrondissement… Et nous en avons d’autres en cours de négociations…

L’Hôtel de la Marine (1er) dans lequel Morning Coworking a pris 6 000 m2 : l’une des grandes transactions bouclées par JLL depuis le début de l’année…

Quelles nouvelles demandes ?

Nous travaillons sur cinq projets portant sur des surfaces supérieures à 5 000 m2. C’est ici que nous constatons souvent une révision à la baisse de ces projets avec des surfaces recherchées inférieures à ce qu’elles étaient avant la crise sanitaire…

Un contexte dans lequel JLL a fortement resserré ses rangs au niveau européen, en particulier avec la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Des réunions hebdomadaires nous permettent d’assurer un meilleur suivi des grands corporates à un moment où les entreprises ont besoin de plus de conseil et où les transactions deviennent la conséquence d’un travail plus profond et de la mise en œuvre de stratégies immobilières plus construites.

Marie-Laure Leclercq de Sousa (JLL) : « le marché locatif tertiaire cherche ses marques »…