Quel rapide bilan du marché de l’investissement en bureaux tel qu’il s’est présenté l’an passé ?

La détérioration des volumes investis dans l’immobilier tertiaire en France, avec une baisse de 51% en 2023, a été l’illustration de la chronique d’une chute annoncée. C’est une baisse supérieure à la moyenne européenne, mais rappelons que les autres pays avaient commencé à décrocher en 2022, à l’exception de la France.

Avec 6,4 milliards d’euros investis dans les bureaux, la baisse atteint quasiment 70 % par rapport à la moyenne annuelle des cinq années précédentes qui s’élève à un peu plus de 20 milliards d’euros. Les bureaux ont, donc, pesé un peu moins de 40 % dans le volume total des investissements en immobilier en France toutes classes d’actifs confondues. Un ratio qui commence à se rapprocher de celui de la moyenne de nos voisins européens. Rappelons qu’il y a cinq ans en France, le bureau représentait, en moyenne chaque année, environ 60 % du volume total investi…

Néanmoins, il convient de noter que la France a été, l’an passé, le deuxième pays européen pour ce qui est des volumes investis en bureaux, derrière la Grande-Bretagne (10 milliards d’euros), mais avec 1,5 milliard d’euros de plus que l’Allemagne…

Comment expliquez-vous cette baisse de la part des bureaux dans les investissements ?

Beaucoup a déjà été dit sur l’« office bashing ». Ajoutons, simplement, que même si le marché ne retrouvera sans doute jamais le niveau des volumes moyens des cinq dernières années, la chute est plus liée à une conjonction de sujets conjoncturels qu’à une perte fondamentale à long terme de l’intérêt pour cette classe d’actifs. Parmi eux figurent la correction des prix, une qualité d’investissements recherchée hyper sélective ; la qualité environnementale ; un effet, sans doute balancier, d’un certain excès du télétravail ; des ajustements aux liquidités disponibles et à leurs profils de rémunération ou encore une adaptation à l’évolution de la demande locative.

Cependant, il est certain que de nombreux acteurs souhaitent réduire leur exposition à cette classe d’actifs et le stock de mètres carrés de bureaux vacants s’avère, désormais, trop élevé. Il représente, néanmoins, une belle opportunité d’offres pour le recyclage urbain, même si celui-ci est freiné par les contraintes techniques et administratives attachées aux opérations de réhabilitation. Sans compter, d’une part, la perte de contribution économique territoriale pour les collectivités locales et, d’autre part, les besoins de financement des équipements publiques…

La logistique conserve-t-elle ses atouts ?

Concernant le marché de l’immobilier industriel et logistique, et malgré un bien meilleur ressenti que pour d’autres classes d’actifs, la chute des volumes investis est également sévère à -60 %.

Avec une correction des prix déjà bien avancée, associée par ailleurs à des loyers orientés à la hausse, globalement les fondamentaux de cette classe d’actifs restent assez solides et nous observons les signes d’un redémarrage : les volumes engagés ont pratiquement doublé entre le troisième et le quatrième trimestre 2023, et les dossiers en cours laissent présager des perspectives bien plus positives pour cette année 2024… Et ce, même s’il convient néanmoins d’accorder de l’attention à la demande des utilisateurs plutôt orientée à la baisse en raison des incertitudes économiques et de la stabilisation de la consom- mation des produits marchands via le e-commerce.

A ce propos, et l’immobilier de commerce ?

L’investissement en « retail » continue de montrer une certaine résilience. Le volume des investissements a, certes, baissé de 48 %, mais sa part dans le volume global a augmenté pour atteindre quasiment 20 %. Tout en ayant été (déjà) corrigée suite à la crise Covid et au développement du e-commerce, cette classe d’actifs a bénéficié des bons fondamentaux du secteur (loyers, repositionnement avant Covid et taux de vacance à la baisse), ainsi que de transactions en investissement l’an passé associées à de gros volumes unitaires de 200 à 500 millions d’euros, qui intégraient notamment des arbitrages de centres commerciaux pour un total de 1,2 milliard d’euros, soit 40 % du volume total des investissements en commerce et ce, en quatre transactions.

Côté évolution positive également, soulignons que le secteur de l’hôtellerie a, quant à lui, vu le volume investi proportionnellement augmenter. Il a représenté un peu plus de 15 % du volume total, tiré par un revenu moyen par chambre qui a continué de croître, des niveaux d’occupation à la hausse et des stratégies de diversification.

Le résidentiel attire-t-il toujours les institutionnels ?

Le volume des investissements en résidentiel est tiré vers le bas, notamment par une correction de la prime de risque encore très insuffisante, qui détourne les investisseurs institutionnels du résidentiel en bloc. Il faut dire que cette correction des rendements est ralentie par les référents prix/m2 qui alimentent alors le marché des opérateurs privés court terme pour des reventes à la découpe. Le secteur est aussi actuellement animé par les investisseurs/opérateurs qui maillent le territoire en résidences étudiantes/coliving/« service apartments », tout en dégageant de meilleurs rendements. Les résidences services gérées ont, ainsi, très bien résisté et elles ont représenté quasiment 40 % du total investi en résidentiel l’an passé, tandis que le volume en habitation classique a baissé de près de 75 %.

Les résidences services seniors (et Ephad) souffrent, quant à elles, de modèles d’exploitation aux rentabilités très chahutées. Malgré des fondamentaux démographiques très bons, la part des RSS a donc été divisé par deux en 2023.

Comment voyez-vous évoluer ces marchés cette année ?

Concernant les intentions des investisseurs pour les mois à venir, notre enquête annuelle paneuropéenne met notamment en lumière que le profil de risques qu’ils vont souhaiter privilégier est encore la création de valeur (« value add », opportuniste et « core + ») pour 70 % d’entre eux. Le capital pour rémunérer du revenu sécurisé dit « core » sera donc toujours très peu disponible, sans compter la taille unitaire des volumes alors limitée.

Il est également intéressant de souligner que le bureau sera encore à la peine puisque les stratégies en la matière ont été divisées par deux en trois ans, pour passer de 39 à 18 % d’entre elles. En revanche, le secteur logistique/industriel, ainsi que le résidentiel continuent d’augmenter et dépassent maintenant, à eux deux, les 60 % d’intentions d’acquisitions. On peut voir là un paradoxe ou un réel déséquilibre du marché résidentiel puisque plus d’un quart des stratégies « flèche » cette classe d’actifs alors que le volume, au final, en 2023 n’a représenté qu’environ 16 % du total investi dans l’Hexagone… Commerces et hôtellerie restent proportionnellement stables. Enfin, 60 % des investisseurs estiment que les attentes de prix entre vendeurs et acquéreurs ne sont toujours pas alignées. En parallèle, les trois quarts des investisseurs anticipent que le volume d’activité sera semblable ou augmentera un peu par rapport à 2023.

Bref, globalement le sentiment s’améliore et ce ressenti plus positif est à l’image de la stabilisation des taux directeurs qui, effectivement, est de bon augure pour aider à une reprise de la fluidité des marchés.

Néanmoins, est-ce que cet optimisme légitime ne devrait pas être pondéré par l’inertie du monde de l’immobilier, ainsi que par la volatilité actuelle des bons du Trésor français ?

A propos de prix, qu’en est-il de la prime de risque ?

La prime de risque a été en bonne partie reconstituée par rapport à celle moyenne des quinze dernières années. Cependant, cette prime de risque ne suffit pas encore pour « flécher » à nouveau suffisamment de capital vers l’immobilier et lui redonner une meilleure liquidité. En plus de la création monétaire par les banques centrales qui est stoppée, on voit bien les freins, voire les difficultés de collectes et autres levées de fonds.
Une bonne partie du chemin de la correction des prix a donc été parcourue, mais pas totalement. Le marché a besoin d’un peu plus d’attrait et de couverture de l’incertitude, le tout dans un marché encore plus sélectif.
Tout en absorbant les baisses de valeurs, il faut donc encore ajouter une prime de nouvelle attractivité à l’immobilier, une prime de liquidité, sans compter une prime de risque environnementale. Ces primes seront d’autant plus élevées que la hiérarchie de la rémunération du risque se reconstitue, sans doute de manière excessive, mais elle se reconstitue.
Du coup, associée notamment à un retour mesuré des capitaux sur l’immobilier et concentrée sur la thématique création de valeur, 2024 sera encore une année de repositionnement et de consolidation, avec plus de dynamisme et d’activité transformés à partir du second semestre à venir. Ce sont 2025 et 2026 qui marqueront une reprise plus nette des volumes…

Quels résultats pour CBRE dans ce marché ?

Le tassement de nos résultats à l’investissement toutes classes d’actifs confondues a été moins violent que les baisses enregistrées sur les marchés. C’est notre couverture géographique, ainsi que celle de l’ensemble des produits d’investissement, qui solidifient notre chiffre d’affaires en « capital markets ». A titre d’exemple, nos supers résultats dans le créneau de l’hôtellerie ont compensé notre moindre performance en résidentiel classique.

Quels nouveaux mandats ?

A l’image d’un sentiment de marché plus positif, nous démarrons l’année 2024 avec un niveau d’activité encourageant et des mandats sur des actifs immobiliers de qualité. A titre d’exemples, en bureaux, nous sommes notamment mandatés en co-exclusivité pour une recherche d’acquéreurs sur 22 000 m2 à Boulogne-Billancourt ou encore 4 500 m2 à usage mixte bureaux, commerces et habitation rue du Faubourg Saint-Honoré, occupés à 60 %. Des opportunités d’investissement parfaitement dans le marché, tant par leurs localisations que par leurs profils de rémunération face à du capital qui, en ce moment, privilégie majoritairement la création de valeur. Autre exemple, dans le marché porteur des hôtels, nous sommes notamment mandatés en exclusivité pour la cession des 94 chambres de l’hôtel 4 étoiles Croisette Beach MGallery Cannes. Nos activités en résidentiel services géré, commerces ou encore industriel & logistique ne sont pas en reste…

Plus généralement, quelle stratégie de développement aujourd’hui ? Comme beaucoup d’acteurs immobiliers, nous concentrons nos efforts à organiser et consolider les équipes en tenant compte de l’évolution des paradigmes de classes d’actifs. Nous avons, par exemple, fait évoluer des collaborateurs sur les classes d’actifs commerce ou résidentiel géré, depuis les équipes bureaux. Nous travaillons également beaucoup sur la transformation du surplus de bureaux et sur le recyclage urbain. Parallèlement, nous poursuivons, d’une part, notre développement en régions et, d’autre part, nous préparons le futur via les recrutements de jeunes talents !

Quel(s) conseil(s) à un investisseur ?

L’argent n’étant plus gratuit et les masses monétaires à venir très contenues, l’hyper-sélectivité, ainsi que la diversification devraient figurer parmi les ressorts obligés des stratégies des investisseurs. C’est sans compter la nouvelle hiérarchie des primes de risques nécessaires et au spectre beaucoup plus étiré. Aussi, le positionnement d’un actif et son histoire future deviennent plus importants que son occupation actuelle.

Dans tous les cas, même si aujourd’hui les rentabilités de l’immobilier, ainsi que sa liquidité sont fortement chahutées, cette classe d’actifs reste un produit incontournable, source de rendement et défenseur de valeur long terme.

« Une bonne partie du chemin de la correction des prix a été parcourue, mais pas totalement »

Nicolas Verdillon (CBRE France) : "2024, année de repositionnement et de consolidation"...