De par vos fonctions, vous êtes aux premières loges pour constater l’effondrement du logement en France. Vous n’êtes, d’ailleurs, pas le dernier à exhorter les pouvoirs publics à agir concrètement. Alors que l’année 2023 touche à sa fin, le tableau que vous dressez est-il toujours aussi pessimiste ?

Pour ce qui concerne la construction, recontextualisons avec des données chiffrées, ce qui est plus parlant : la FPI est d’ordinaire satisfaite lorsque ses membres promoteurs sortent de terre un total de 160 000 à 165 000 logements par an. En 2022, nous étions tombés à 121 000 et, pour l’année 2023, nous nous orientons plutôt vers un total de 85 000 bâtis. Soit la moitié d’une année normale ! Les perspectives pour l’année prochaine ne sont guère plus enthousiasmantes car nous n’écoulons pas suffisamment vite les programmes que nous avons actuellement en commercialisation et que nous faisons tout notre possible afin de ne pas accumuler de stocks durs (appartements achevés, mais pas encore réservés). Or, pour construire plus, il faut d’abord écouler les stocks, l’un ne va pas sans l’autre ! Un autre chiffre : le ministère du Logement annonce une baisse de 28 % de permis de construire délivrés et de 16 % des mises en chantier. Depuis plusieurs années, tout le monde hurle après le manque d’offre, le fait que les maires ne délivreraient pas suffisamment de permis de construire ; aujourd’hui, ce manque d’offre presque structurel se conjugue avec un criant manque de demande. Les deux s’équilibrent presque.

L’objectif de 500 000 logements à construire pas an, sempiternellement asséné par les politiques et les observateurs du secteur, semble relever davantage du mirage que de l’objectif atteignable. Qu’en pensez-vous ?

Cela fait très longtemps que l’on n’a pas atteint ce chiffre, au moins depuis le mitan des années 2000. De toute manière, construire comme en ces temps-là ne correspond pas à la philosophie du gouvernement actuel : selon lui, les immeubles vacants réhabilités doivent suffire à combler les besoins. Mais c’est confondre la cause et la conséquence : si certains logements sont vides, c’est parce qu’ils sont situés dans des zones peu attractives, cette fameuse « diagonale du vide ». Personne ne veut y aller ! Prenez l’exemple de Lyon et Saint-Etienne : dans la première ville, le prix au mètre carré est de 5 000 euros en moyenne, tandis qu’il atteint péniblement les 1 200 euros chez sa voisine. Malgré tout, personne {sic} ne veut aller à Saint-Etienne, c’est bien symptomatique de quelque chose. Il n’est ni possible ni souhaitable de contraindre des populations à habiter là où elles ne souhaitent pas être. Les lieux ne disposant pas d’aménités urbaines attractives sont logiquement délaissés.

Les professionnels interpellent à moult reprises les responsables publics. Pourtant, le sentiment persistant est que ces derniers ne s’emparent pas du problème, font la sourde oreille à toutes les revendications. Est-ce aussi l’impression que vous avez ?

C’est surtout vrai pour les ministres et l’exécutif en général, moins pour les parlementaires. Un vent de fronde commence à s’élever chez ces élus, y compris chez ceux étiquetés majorité présidentielle. Dans les auditions parlementaires auxquelles j’assiste, le mécontentement est de plus en plus perceptible et la volonté d’action réelle. Ce qui vient de leur contact du terrain, des problématiques rencontrées quotidiennement par leurs administrés. La phrase classique est : « avant, lorsque l’on venait me solliciter dans ma permanence, c’était dans le but de me solliciter un emploi ; aujourd’hui, c’est pour avoir un logement ! ». Patrick Martin, le président du Medef, m’affirme qu’il existe un vrai problème d’employabilité faute de logements en nombre suffisant situés à proximité des bassins d’emploi. Le ministère du Logement ajoute que 12,7 % des étudiants ont renoncé cette année à leur cursus universitaire pour les mêmes raisons.

Le logement et l’immobilier en général sont des secteurs fortement pourvoyeurs d’emplois. Qu’est-ce que cette crise peut entraîner pour ces métiers balayant un spectre très large, des maçons aux professionnels de la transaction ?

La casse sociale est réelle. J’annonce 300 000 pertes d’emplois, dont 150 000 dans le bâtiment. Sur le spectre évoqué dans votre question figurent aussi des corps de métiers tels que les notaires ou les architectes, qui sont également fortement impactés. Il y a une vague de licenciements importante, des études de notaires sont en redressement judiciaire. C’est inédit ! Le Titanic est en train de couler, mais les musiciens continuent à jouer de leur instrument sur le pont… Je vais très prochainement m’entretenir encore une fois avec le ministre Patrice Vergriete pour échanger avec lui sur les mesures à prendre. Je souhaite qu’elles soient radicales car nous ne pouvons plus agir à coups de mesurettes. Il faut avoir à l’esprit que la demande de logements a chuté de 50 % en France ! C’est dramatique ! Le logement est un malade chronique qui est en passe d’être transféré en soins palliatifs. Or, on ne soigne pas un mourant à doses homéopathiques…

Pascal Boulanger (FPI) : « le logement est un malade chronique ! »