Comment se présente l’association Cibi, ainsi que ses champs d’intervention ?

Avant tout, il n’est pas inutile de rappeler que la ville est un écosystème accueillant l’espèce humaine parmi tant d’autres. Si nous apprivoisons une partie du territoire pour l’habiter, nous risquons de déséquilibrer ces milieux au détriment des autres êtres vivants. Dans ces conditions, comment être plus vertueux ? Depuis 40 ans, les collectivités ont mis en place sur leurs territoires la gestion différenciée, qui consiste à gérer les espaces verts en milieu urbain en prenant en compte leur vocation, leur fréquentation et leur situation. Les acteurs privés doivent pouvoir en faire de même. C’est ce qui nous a poussés à créer, en 2013, le Cibi, une association loi 1901 dont l’objet, d’intérêt général, est de développer la biodiversité urbaine, en particulier les liens unissant les humains aux autres êtres vivants non-humains. Notre gouvernance comprend des représentants d’un maximum d’acteurs intervenant sur le sujet : entreprises de construction, promoteurs immobiliers, investisseurs, utilisateurs, entreprises spécialistes du sol, du service à l’eau et à l’environnement, paysagistes- concepteurs, architectes, jardiniers, collectivités, associations de protection de la nature.

Quel développement et quels outils avez-vous mis en place pour sensibiliser les citoyens à la biodiversité en ville ?

Nous étions sept membres fondateurs il y a dix ans et sommes aujourd’hui quatre-vingt dix dans cette gouvernance. Nous souhaitons révéler aux citadins les différentes formes de nature, même les plus apprivoisées, qui existent dans leur quotidien. Nous travaillons à la mise en réseau des acteurs susnommés, avec l’organisation d’un rendez-vous mensuel, parfois plus. Nous voulons également mobiliser en externe, via la participation active à des salons, conférences, tables rondes et podcasts. Nous proposons des formations s’adressant aux maîtres d’ouvrage ou aux techniciens et avons développé des référentiels (les labels BiodiverCity®). Enfin, à l’occasion du Salon des Maires et du Simi, nous lancerons un outil à l’échelle des quartiers, BiodiverCity Ready, avec 24 pilotes sur lesquels nous travaillons aujourd’hui afin d’affiner les critères; le quartier constitue une échelle que chaque citoyen peut aborder, avec une gouvernance public-privé.

Comment le vivant s’impose-t-il comme une solution à l’effondrement de la biodiversité, au réchauffement climatique et aux dérèglements qu’il provoque ?

Il faut distinguer trois notions : nature, vivant et biodiversité. La nature est aisément compréhensible par le plus grand nombre ; elle désigne ce qui nous entoure. Les sciences du vivant englobent déjà une notion plus précise. Le concept de biodiversité est plus récent, il est apparu dans les années 1980 à la faveur d’un grand consensus scientifique : il renvoie tout à la fois au tissu du vivant, aux espèces, au milieu dans lequel elles évoluent, à la génétique… Appliqué à l’urbain, nous pourrions dire que cela concerne la façon dont les citadins parviennent à investir l’espace qui les entoure, en interaction avec la nature et dans un équilibre le moins défavorable possible pour les autres espèces. Ce n’est pas parce que nous nous trouvons en zone urbaine que l’on ne doit pas préserver la nature. Ce qui passe par la sobriété foncière, le Zan, le recours à l’existant… La ville peut et doit favoriser des continuités écologiques. Les poumons verts, comme c’est le cas des Bois de Boulogne et de Vincennes à Paris, doivent être encouragés. De plus, la vision très technique de la construction de la ville que l’on a pu avoir à un moment donné, avec un empilement de tuyaux, de réseaux de câbles, de matières minérales, exacerbe des phénomènes tels que la constitution d’îlots de chaleur et les difficultés liées à la gestion des eaux. À l’heure actuelle, il pleut généralement très fort sur de courtes périodes et la ville déborde vite car les tuyaux, trop petits et trop enterrés, ne sont plus adaptés à cette nouvelle donne (bouches de métro inondées, accidents…). Dans cette configuration, l’eau ne peut pas s’infiltrer dans les sols, ce qui favorise les inondations. Les solutions fondées sur la nature, tels que les petits fossés végétalisés, sont davantage adaptées aux nouvelles réalités. Il faut encourager, via la nature, la capacité des villes à encaisser des changements très forts et très brutaux, notamment en lien avec le réchauffement climatique.

Considérez-vous que les espaces verts et végétalisés soient encore trop peu nombreux en ville pour faire face aux nouvelles réalités ?

La ville telle que l’époque haussmannienne nous l’a léguée est obsolète dans beaucoup d’aspects. Heureusement, nous disposons de leviers d’action pour la transformer progressivement. À l’époque d’Haussmann, la méthode, c’était : expropriation des habitants, démolition et reconstruction. Ce ne serait évidemment plus possible aujourd’hui. Mais prenons même un exemple plus récent, celui de la « smart city », dont l’essor a précédé la crise Covid. Quel modèle proposent ces « villes intelligentes » ? Empilement de technologies, de réseaux, de câbles, de béton… Du même coup, le modèle haussmannien, qui aurait pu être adapté et gagner en robustesse quelques dizaines de décennies plus tard, est devenu encore moins opérant qu’il ne l’était déjà à l’époque. J’ajouterais qu’il ne faut pas minimiser les volets social et sociétal, avec la nature comme espace commun de respiration pour la santé mentale et physique de chaque citadin. Ce qui prend encore plus de sens pour les personnes vivant dans de petits appartements sans espaces extérieurs, qui ressen- tent un besoin physique, tangible, de trouver en ville des espaces de nature. Néanmoins, nous sommes conscients que ce n’est pas en développant la nature dans les villes que l’on va sauver la bio- diversité; dire cela relèverait de la supercherie intellectuelle. Toutefois, la renaturation des villes, même si elle n’est en aucun cas la panacée, est l’une des solutions les plus aisées et les plus rapides à mettre en place. Nous aurions donc tort de nous en priver.

Pour revenir sur la « smart city », vous considérez qu’elle a été une fausse bonne réponse à un problème concret de besoin de connectivité des villes ?

Le vrai problème de la « smart city » réside dans le fait que l’on a confondu la finalité et le moyen. La « ville intelligente » n’est pas un horizon en soi, surtout lorsque l’on constate que les préoccupations ont rapidement évolué, avec des phénomènes météorologiques qui dépassent de plus en plus souvent les prévisions climatiques les plus pessimistes. Dans ce contexte, les priorités ne sont plus les mêmes et les outils technologiques installés doivent servir à quelque chose, comme nous renseigner sur des éléments ayant trait à la bio- diversité en ville. La nature, qui est par essence du « low tech », peut être pilotée par le « high tech » et la « proptech », pour mesurer, estimer, com- parer, améliorer. La « smart city » n’est donc pas une mauvaise chose, mais elle doit simplement être au service de questions concrètes en lien avec le bien-vivre et le respect de l’environnement.

Pourquoi le besoin inné de nature constitue-t-il une nécessité sociale ?

Le terme « biophilie » a été popularisé dans les années 1980 par le biologiste américain Edward Osborne Wilson ; la biophilie développe la thèse selon laquelle les êtres humains, quel que soit leur milieu de vie, éprouvent une attirance innée pour les autres êtres vivants. De plus, il a été prouvé que les espaces verts disposent de vertus apaisantes. Malheureusement, les individus se sont progressivement coupé des espaces verts, de la nature, à cause de la modernisation et de l’urbanisation à outrance. C’est là qu’apparaît le paradoxe : les êtres humains ont un besoin physiologique de nature, ils ne peuvent s’en passer aussi bien pour leur santé physique que mentale, et dans le même temps les sociétés modernes l’en éloignent toujours plus. D’où la nécessité de revenir à des fondamentaux.

Que pouvez-vous nous dire à propos du cadre réglementaire, des bonnes pratiques et de la synergie public/ privé en lien avec la renaturation des villes ?

Le Cibi est donc né du constat que les collectivités avaient fait leur part du travail, mais pas le privé. Aujourd’hui, les outils technologiques montrent statistiquement que plus de la moitié du foncier non-bâti des villes (de nature) est dans le domaine privé. L’Apur (Atelier Parisien d’Urbanisme) ajoute que plus du tiers de la surface perméable (non goudronnée) de Paris se trouve également dans le domaine privé, notamment dans les cours de copropriété. À Nantes, ce sont 50 % des espaces verts qui relèvent du privé, entre les jardins d’entreprises et les copropriétés. Enfin, pour la métropole lyonnaise, le chiffre grimpe jusqu’à 70%. Le privé doit donc prendre sa part de responsabilité pour ne pas créer de discontinuités entre le volontarisme du secteur public en la matière et un immobilisme dès lors qu’un espace relève d’une copropriété. Enfin, pour la santé mentale, il est important d’aménager des trouées visuelles dans les villes et d’en finir avec les bâtiments ou les résidences fermés sur eux-mêmes, complètement hermétiques. De même, si une entité privée dispose d’une cour intérieure, pourquoi ne pas envisager la possibilité pour les passants de pouvoir la traverser sans être contraints de contourner le bâtiment, afin de jouir, ne serait-ce que quelques minutes, des quelques touches de verts que le lieu offre ? De façon générale, le désenclavement est fondamental, la ville moderne doit être ouverte en plus d’être verte !

Pierre Darmet (Cibi) : « la ville moderne doit être verte et ouverte ! »