Le Sibca, créé par l’association BBCA que vous présidez, sont l’un et l’autre des initiatives privées ?

L’originalité de BBCA est d’avoir été créée par des acteurs de la filière immobilière, au départ surtout des industriels particulièrement engagés sur des modes constructifs bas carbone, notamment bio-sourcés, et en particulier le bois, des modes constructifs qui n’étaient pas reconnus par les différents systèmes de labellisation et/ou pas valorisés par les pouvoirs publics, parfois même empêchés par la réglementation. Leur initiative s’est faite en parallèle d’une mobilisation politique qu’a cristallisée la COP 21 à partir de 2015, ce qui prouve que le marché et l’ensemble de l’économie étaient en cours de « maturation » sur le sujet. La dynamique créée par la COP 21 et les Accords de Paris autour de la lutte contre le changement climatique et les émissions de carbone ont poussé BBCA à aller plus vite et plus loin. Notre originalité est aussi d’être monomaniaque, on ne regarde qu’une seule chose, le carbone et son empreinte, que l’on appréhende de façon totale, sur l’ensemble du cycle de vie, depuis la construction jusqu’à la fin, s’il y en a une, ou les différentes rénovations, en passant par l’exploitation… Très vite, dès 2016, BBCA a lancé son premier référentiel pour la construction neuve, associé très vite à un label.

Qu’est-ce qu’un référentiel, un mode de calcul, une méthode ?

Il s’agit d’une méthode – la plus simple qu’il soit possible – pour comptabiliser l’empreinte carbone du bâtiment. Cela correspond à ce qu’est BBCA, une association très légère, qui a commencé par utiliser ses membres fondateurs pour créer des groupes de travail et réfléchir à ce référentiel. On a commencé par la construction, en listant tous les matériaux qu’on utilise, avec une fiche technique pour chacun d’eux, en essayant d’anticiper leur vieillissement. On a dû constater d’abord l’inexistence d’une telle expertise, rien dans le domaine public. On s’est tourné vers le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, ndlr), dont le support a été déterminant au départ de BBCA. Ce sont alors agrégés les premiers bureaux d’études techniques adhérents de BBCA, puis des constructeurs, des promoteurs. On a vu arriver et se mettre au travail les jeunes loups de nos membres, très motivés par la notion de cycle de vie et d’empreinte carbone, procéder collectivement à des tests, en partager les résultats et présenter leurs propositions aux administrateurs de BBCA. Ce faisant, ils déposaient en même temps sur le bureau de leurs employeurs de quoi guider les nouveaux projets, bénéficiant au passage d’une formidable reconnaissance de leurs entreprises.

On a vu très vite notre filière immobilière s’organiser et se structurer, pratiquement en même temps que s’élaboraient loi et réglementation avec la Stratégie Nationale Bas Carbone. Pour donner la SNBC version 3, qui prend en compte, enfin, les engagements européens en faveur de la décarbonation, aux horizons 2030, puis 2050…

Vous nous annoncez l’application prochaine de la SNBC 3 ?

Oui, c’est quasi officiel, et cela se fera courant 2024. Il était temps! Jusqu’à aujourd’hui, la stratégie française ne prenait pas en compte l’accélération des ambitions européennes. La V2, encore pendante, est moins-disante que dans le reste de l’Europe, où chaque pays classe ses principaux secteurs émissifs et procède secteur par secteur. En France, le bâtiment est le principal émetteur. Il y a des variations selon les pays ; chez nous, il est à peu près au même niveau que celui de nos transports. Nous sommes d’autant plus attendus sur la réduction de l’empreinte carbone du bâtiment. Mais je suis confiant et optimiste, surtout parce que le dialogue s’est institutionnalisé. Nous avons beaucoup poussé à cela avec le rapport qu’Yves Perrier a remis à Bruno Le Maire au printemps 2022.

«On a vu très vite notre filière immobilière s’organiser et se structurer, pratiquement en même temps que s’élaboraient loi et réglementation avec la Stratégie Nationale Bas Carbone »

Vous étiez proche conseiller d’Yves Perrier, alors président d’Amundi, premier gestionnaire d’actifs européen, et vous-même co-rédacteur de ce rapport avec Margaux Sauvaget, du Trésor, dix ans après que Gérard Mestrallet, alors président d’Europlace, ait remis au Premier ministre son Livre Blanc et ses propositions pour « relancer l’économie et financer la croissance durable »… Une décennie pour rien ?

Entre temps, tout de même, une grande partie du monde a signé les Accords de Paris ! La première demande de Bruno Le Maire, constatant que les financiers n’en faisaient pas assez, était précisément d’avancer les moyens d’aligner la Place de Paris avec les ambitions de la COP et des accords qui l’ont conclue. Fin 2021, le ministre s’est fait plus précis et pressant, et nous avons créé à sa demande un comité de place de la transition – j’accompagnais alors effectivement étroitement Yves Perrier –, qu’on a baptisé CFTE (Comité de Financement de la Transition Ecologique). Le rapport final est un document complet qui permet une planification dans les faits, qui n’a rien d’un engagement théorique, un rapport élaboré collectivement, condition indispensable si l’on veut des résultats. Si les industriels, les financiers et l’Etat ne partagent pas une même vision de la décarbonation, à moyen et long termes, elle ne se fera pas !

En application des propositions du Rapport Perrier, nous avons mis en place, en fin d’année dernière, l’Institut de la Finance Durable (IFD). Le CFTE s’est réuni pour la première fois le 12 juillet 2023, présidé par Bruno Le Maire.

On créé des « machins » comme disait de l’ONU le général De Gaulle ?

Il est affirmé, dès le départ, que les acteurs sont là pour mettre en œuvre, et pas seulement pour prendre des engagements, ce qui vise tous les acteurs, y compris les ONG qui n’arrêtent pas de demander aux autres de s’engager ! Non, maintenant, il faut faire, et donc s’organiser pour faire.

L’IFD n’a que six mois d’existence et a déjà lancé des travaux sur la comptabilité carbone, l’évaluation de la performance et de la transition opérée par les entreprises.

« BBCA et Sibca sont nés d’un terreau français particulièrement avancé. Nous avons contribué à ce que la filière accélère encore et maintienne son leadership en matière de décarbonation du bâtiment »

Un management fluide dans une organisation publique, c’est nouveau ?

Je travaille depuis dix ans sur les sujets de la RSE ; j’ai vu l’évolution des mentalités. On n’en est plus à la sensibilisation, on est sorti du charabia technique que, malheureusement, le premier monde de la RSE employait…

On est à l’époque du carbone pour tous, désormais intégré à la stratégie des entreprises, le carbone concerne l’ensemble des activités, produits et services, mais il concerne également tous les acteurs de la filière, constructeurs, aménageurs, investisseurs, utilisateurs. BBCA les a bien couverts avec sa panoplie de labels. On peut et on va embarquer tout le monde !

En passant par la formation de ceux que vous appelez les managers de l’Etat ?

Là, c’est l’Etat qui a pris l’initiative de nous demander de former son encadrement général. On parle des directeurs généraux d’administrations centrales. BBCA contribue à sensibiliser cette clientèle-là à ce que l’on connaît bien : le carbone dans le bâtiment.

Vous parlez également de diminuer le coût des matériaux bio-sourcés, est-ce bien réaliste ?

Soyons précis… et réalistes : les chaînes d’approvisionnement sont encore petites et les expériences d’utilisation nouvelle de ces matériaux sont peu partagées, dans un marché relativement restreint, avec des prix de 10 à 20 % supérieurs aux matériaux traditionnels. Un surcoût qui n’est pas structurel. L’enjeu est simplement d’organiser ce marché. Ce qui vaut pour le réemploi et les matériaux recyclés.

Comment organiser le marché ?

Là encore, on a créé le Sibca pour réunir des acteurs déjà engagés, qui ont des solutions à proposer, mais également d’autres qui se questionnent et s’intéressent au sujet, sans compter des étudiants (la troisième journée leur est consacrée) qui veulent s’engager dans la filière. Chacun son métier.

BBCA et Sibca sont nés d’un terreau français particulièrement avancé. Nous avons contribué à ce que la filière accélère encore et maintienne son leadership en matière de décarbonation du bâtiment. Aux yeux du monde, j’ose le dire.

Aux yeux du monde, mais en Europe ?

BBCA a lancé l’an dernier l’opération LCI (Low Carbon Initiative), pour permettre d’ajuster nos référentiels et les rendre compatibles avec les règlementations des principaux marchés immobiliers européens. On va bientôt en connaître les premiers retours. BBCA est fidèle à sa méthode : nous sollicitons un peu partout les acteurs, promoteurs et financiers et nous commençons, sans tarder, à instruire un dialogue étroit avec la Commission et les instances européennes. Un management fluide qui nous permet d’être crédible et d’exister.

Crédible auprès des politiques ?

Elisabeth Borne a parlé au Medef, il y a quelque jours, du « sujet fondamental de la norme et de la règlementation ». Sans disserter sur ce prétendu « mal français », je vais prendre un bon exemple et un mauvais.

Le bon exemple est celui de la façon dont on a conçu la nouvelle réglementation immobilière, la RE2020 qui prend la suite des différentes réglementation thermiques. L’administration est passé de la notion thermique à la notion environnementale. BBCA a été particulièrement instrumentale dans ce changement de perspective, a été très impliquée pendant les presque deux années qu’a duré l’élaboration. Nos membres se sont vraiment engagés dans cette voie au départ très politique. L’originalité de la RE 2020, pionnière dans le monde, j’insiste, est de prendre en compte cycle de vie et carbone, d’une part, et d’annoncer une gradation des exigences au fur et à mesure des années qui viennent. De telle sorte que les acteurs de la filière puissent construire leur « business » avec une certitude assez rare. Le dialogue fécond entre BBCA et administration a porté ses fruits.

A l’inverse, le projet d’ajustement de la réglementation incendie visant les immeubles construits en bois et recevant du public, les ERP, projet annoncé au Forum Bois Construction qui s’est tenu à Lille en avril dernier, annonce faite impromptue par un lieutenant-colonel des pompiers et présenté par lui comme la doctrine de la Sécurité Civile, et donc du ministère de l’Intérieur, a pris tout le monde de cours, sans aucune consultation. Depuis, on est entré dans la situation parapluie, chacun se protège – on ne vas pas aller contre la sécurité des personnes -, et repousse l’échéance. Et l’on assiste à une mobilisation plus ou moins habile des différentes parties prenantes (voir encadré ci-contre). Des avancées majeures obtenues par la méthode BBCA, tests incendie et consultations des acteurs, sont remises en cause. Beaucoup des bâtiments du Village Olympique du programme bois Paris 2024 en cours de livraison en Seine-Saint-Denis ne pourraient pas aujourd’hui être construits. Il faut regarder les choses avec bon sens, cela n’a pas été le cas.

Stanislas Pottier (BBCA) : Carbone pour tous !