Quel bilan du marché de l’investissement en immobilier tel qu’il s’est présenté l’an passé ?

Les résultats 2023 reflètent les multiples challenges auxquels notre « industrie » fait face depuis 18 mois : ralentissement de la collecte, voire décollecte ; dette moins accessible ; incertitudes persistantes quant à la valorisation des actifs et, enfin, place des bureaux qui reste « challengée » dans la stratégie des investisseurs.

Au cœur de ce « perfect storm », le décrochage des volumes s’est inéluctablement poursuivi tout au long de l’année dernière, pour tomber à moins de 12 milliards d’euros investis en France, en immobilier d’entreprise. Un volume inférieur de 57 % à celui de 2022 et similaire aux niveaux observés en 2009 et 2010 (respectivement 7,5 milliards et 11,3 milliards d’euros), notamment en euros constants. En soulignant qu’entre 2005 et 2015, le volume global moyen des transactions dans l’immobilier tertiaire (hors résidentiel) s’est élevé à 19 milliards d’euros, tandis qu’il a atteint 30 milliards entre 2016 et 2022. Ce dernier résultat doit être considéré comme exceptionnel dans un environnement tout aussi exceptionnel de taux d’emprunt proche de zéro… L’Ile-de-France cumule, de son côté, 6,8 milliards d’euros engagés, tandis que les régions concentrent une part proche de 40 % des investissements dans l’Hexagone, une répartition qui reste globalement inchangée depuis 2021. Le fléchissement de l’activité ne tient pas uniquement à l’attentisme des investisseurs. Le coût élevé de l’emprunt s’est directement répercuté sur le seuil de liquidité des opérations : seulement 21 acquisitions d’un montant unitaire supérieur à 100 millions d’euros ont été enregistrées en 2023, contre 65 un an plus tôt. Alors qu’elles concentrent, en moyenne, un peu plus de 50 % de l’activité en volume sur les dix dernières années, les opérations de grande taille ne représentent que le tiers du montant global investi l’an passé.

Fait marquant à souligner, toutefois, ces 12 milliards d’euros ne tiennent pas compte des cessions à des utilisateurs ; 2023 aura été une année particulièrement animée en la matière puisque ces derniers ont proposé une sérieuse alternative aux vendeurs, en ciblant quelques actifs stratégiques. On ne recense pas moins de 5 milliards d’euros injectés rien qu’en Ile-de-France par des entreprises, majoritairement illustrés par les acquisitions « XXL » opérées par des géants du luxe…

Dans un contexte de stabilisation des taux d’intérêt, comment voyez-vous évoluer globalement ce marché cette année ?

D’abord, s’agissant des taux d’intérêt, il convient de rester prudent avant d’évoquer toute baisse car personne ne sait à quel moment celle-ci interviendra et, par ailleurs, les investisseurs construisent leurs modèles sur la base du taux du moment. Ce qu’ils souhaitent, avant tout, c’est la stabilité. Sachant qu’une éventuelle baisse de prix constitue, certes, une bonne surprise, mais ne doit pas être le déclencheur d’une décision d’investir.

Néanmoins, la probable fin de la hausse des taux directeurs et la baisse des rendements obligataires permettent le retour d’une certaine visibilité quant aux prix, grâce à la reconstitution de la prime de risque immobilière. Ces conditions plus lisibles vont favoriser, progressivement, l’entente entre vendeurs et acheteurs comme le démontrent les récentes discussions avec nos clients… Du côté de la dette, nous constatons les premières démonstrations de refinancements, sur des immeubles loués, mais aussi sur des immeubles ou projets en difficulté, témoignant d’une volonté des banques de ne pas prendre possession d’actifs immobiliers, ni d’engager des ventes forcées, sauf exceptions très ponctuelles.

Cette situation ne constitue, néanmoins, que la première étape d’un retournement de cycle, certes indispensable, mais en soi pas encore suffisante. La prochaine concerne les collectes et levées de fonds qui doivent concrétiser cette nouvelle attractivité de l’investissement immobilier. L’année qui s’ouvre risque, ainsi, de connaître un démarrage poussif en termes de volumes transactés compte tenu de l’effet d’inertie du marché. Certains investisseurs devront injecter leurs nouveaux capitaux en priorité dans l’asset management de leurs actifs, qu’il soit financier, locatif, environnemental ou technique.

En termes de profils de risque, les nouvelles conditions financières remobilisent certains acteurs « core + » et « value add » pour investir sur le territoire français, dans des poches de liquidités certes réduites, mais qui restent saines pour fluidifier le marché. Enfin, et alors que la collecte nette ralentit, les SCPI resteront assurément des acteurs du marché, essentiellement orientées à l’acquisition pour les plus récentes et les SCPI régionales, davantage à la vente pour les plus historiques. Nouvel élément de marché depuis 2023 : le retour des investisseurs privés et « family offices », qui bénéficient souvent de conditions de financement très favorables et qui sont de plus en plus présents pour saisir des opportunités pour lesquelles les investisseurs institutionnels sont moins présents.

Nous prévoyons, ainsi, une légère augmentation du volume des investissements cette année, avec une accélération au second semestre et un volume compris entre 12 et 15 milliards d’euros engagés en France, dont entre 7 et 9 milliards en région parisienne.

Quelles perspectives pour les bureaux ?

Aucune classe d’actifs n’a été épargnée par l’effondrement des volumes. Les bureaux sont les plus questionnés au regard des différents enjeux auxquels ils font face avec le déploiement du télétravail et la mise en place du décret tertiaire. Ils restent, cependant, la locomotive du marché, en représentant un peu plus de la moitié des investissements en 2023, mais avec une part de marché en baisse depuis cinq ans. Près de 20 milliards d’euros ont, en moyenne, été transactés par an sur le marché des bureaux ces cinq dernières années, contre seulement 6,2 milliards d’euros en 2023. A la vue de l’hyper sélectivité des investisseurs pour 2024, les immeubles bénéficiant d’une centralité indiscutable feront davantage l’objet de marques d’intérêt, tandis que certains autres, plus excentrés, pourront être étudiés pour des sujets de transformation. Les seuils de liquidité ont clairement baissé, les « sweet spots » s’inscrivant entre 50 millions et 100 millions d’euros en Ile-de-France et entre 15 millions et 30 millions en régions. Pour s’attaquer à d’éventuelles opportunités plus importantes, plusieurs investisseurs ont commencé à réfléchir à des montages en joint-venture ou « club deals », comme l’illustre notre transaction sur l’immeuble « Memphis » (13ème), vendu à une joint-venture entre La Française AM et EDF Invest.

L’ensemble « Memphis » (13ème) vendu à une joint-venture entre La Française AM et EDF Invest…

Et côté commerces ?

Le marché des commerces a clôturé l’année 2023 avec un peu moins de 3 milliards d’euros investis. Un résultat mitigé car largement porté par le segment des grandes transactions. Malgré l’absence de repères sur les actifs « prime », les commerces proposent un couple rendement/risque redevenu suffisamment attractif pour les investisseurs avec une correction des prix qui a débuté avant la remontée des taux.

Les volumes investis devraient rester, peu ou prou, similaires pour l’année qui vient, avec une polarisation entre la liquidité des actifs d’un montant unitaire inférieur à 20 millions d’euros et quelques actifs de grande taille ou des portefeuilles.

Les entrepôts ont-ils toujours la cote ?

Le marché des entrepôts et locaux d’activités a connu une activité à deux vitesses, avec un nombre limité de signatures au cours des neuf premiers mois de 2023 et une fin d’année qui a vu la cession de quelques portefeuilles nationaux (dont les portefeuilles « Scott » et « Acti Hall », deux transactions signées JLL). La diversification reste de mise pour les investisseurs sur le marché de l’immobilier industriel qui cumule une part proche de 25 % du volume totale investi l’an passé.

Les opérations sous forme de portefeuille devraient continuer d’alimenter le marché ; les quelques processus marketing allant jusqu’à un second tour d’offres reflètent le fort attrait de cette classe d’actifs auprès des investisseurs. Si les acteurs « core » demeurent encore attentistes, les acteurs « core + » et « value add », en revanche, sont nettement plus actifs. Le début d’année devrait donc s’avérer plutôt positif pour ce segment de marché, avec des portefeuilles de plus de 300 millions d’euros en cours de vente, permettant de « booster » mécaniquement les volumes à venir sur le premier semestre…

Un mot sur le résidentiel ?

Sur ce marché, les actifs existants ont prouvé leur bonne résistance avec des acquéreurs actifs, qu’il s’agisse d’acteurs « value add », opérateurs marchands ou encore des fonds. Et de nouvelles opportunités sont à venir… En soulignant une demande soutenue de la part d’investisseurs internationaux long terme pour les résidences étudiantes, existantes ou en Vefa…

Quelle orientation pour les taux de rendement ?

La baisse de l’inflation, conjuguée à la dégradation de certains indicateurs économiques, laisse entrevoir la fin du resserrement monétaire. La BCE et la Fed ont, d’ailleurs, maintenu leurs taux inchangés au mois de décembre. Les taux de rendement ont, ainsi, probablement atteint leur pic fin 2023. Les bureaux et commerces du QCA semblent avoir trouvé leur équilibre entre 4,25 et 4,50 %, tandis que les meilleurs entrepôts se valorisent à 4,75 %. Depuis leur point bas, les taux sur chaque classe d’actifs ont, désormais, pris entre 150 et 175 points de base. Cette stabilité concerne, néanmoins, les meilleurs actifs, tandis que le rééchelonnement des taux pourrait se poursuivre dans les secteurs périphériques qui souffrent davantage, à l’instar de la première couronne où les taux « prime » avoisinent les 6 % (soit une décompression de plus de 225 points de base par rapport à leur point bas) au même titre que les taux des bureaux en régions.

… rue Chauveau Lagarde (8ème) : un immeuble mixte indépendant de 900 m² entièrement loué, sous exclusivité avec un acquéreur…

Quels résultats pour JLL dans ce marché ?

Nous ne pouvons, évidemment, pas nous extraire de cette mauvaise tendance de fond qui touche l’ensemble du marché et tous ses acteurs. D’où une certaine fierté d’avoir réalisé quelques transactions « records » dans leur marché respectif, à l’exemple de la vente en Vefa du futur siège de Stellantis, à Poissy (78), pour 165 millions d’euros ; de celle de l’immeuble « WeLink », à Lyon (69), la plus grande opération de bureaux en régions, pour plus de 100 millions d’euros ou encore, donc, la vente par AXA/Norges à une joint-venture entre La Française et EDF Invest, de l’immeuble « Memphis » pour plus de 130 millions d’euros. Sans mentionner les portefeuilles « Carmelia » et « Scott », en logistique pour environ 150 millions d’euros.

Dans ce contexte de marché, JLL a réalisé 75 transactions, représentant un volume total investi de 2,12 milliards d’euros, dont plus de la moitié (53 %) en bureaux qui, même dans notre chiffre d’affaires, constituent toujours le première classe d’actifs.

… rue de Téhéran (8ème) : un ensemble de cinq plateaux de bureaux d’une surface locative d’environ 1 050 m², détenu en copropriété, sous exclusivité avec un acquéreur…

Quels nouveaux mandats ?

Depuis fin 2022, le marché a changé de posture comme souvent en temps de crise. Il y a, aujourd’hui, un mix entre mandats de vente organisés et démarches « off market », quasiment à la carte, pour répondre aux critères de recherche des investisseurs actifs. Nous constatons, en ce début d’année, quelques « marketings » qui intègrent ces critères, notamment par rapport à la centralité des actifs et des volumes très liquides, souvent inférieurs à 50 millions d’euros pour les bureaux, voire encore moindre pour le commerce et les bureaux en régions.

En matière de nouveaux mandats, nous travaillons aujourd’hui sur une quinzaine d’immeubles de bureaux de moins de 50 millions d’euros à Paris, Lille et Lyon, émanant essentiellement de différentes SCPI. En matière de commerce, et fort de notre « track record » dans l’alimentaire, nous travaillons sur plusieurs portefeuilles et actifs à l’unité, supermarchés ou pieds d’immeubles. En logistique et industriel, nous sommes mandatés sur deux portefeuilles significatifs pour lesquels les premières réactions des investisseurs ont été très positives… Enfin, en résidentiel, nous lançons deux actifs phares : l’un, à la Plaine Monceau, un immeuble d’environ 4 500 m2 rue Meissonier, dans le 17ème et un autre à l’angle des avenues Victor Hugo et Bugeaud, dans le 16ème…

… lancement sur le marché d’un « actif phare », un immeuble d’environ 4 500 m2, rue Meissonier (17ème) : des exemples de transactions et mandats signés JLL.

Plus généralement, quelle stratégie de développement aujourd’hui ?

Les équipes investissement de JLL ont fait preuve d’une très grande résilience au cours de « l’annus horribilis » 2023. Et je suis persuadé que 2024 est l’année du début du retournement de cycle. Nous anticipons une légère progression du volume global investi et souhaitons nous renforcer, notamment dans les bureaux à Paris et en industriel en Ile-de-France où nous avons actuellement trois postes à pourvoir. L’équipe investissement bureaux Paris a enregistré deux départs et nous recherchons, activement, un nouveau responsable pour cette équipe de 12 collaborateurs, ainsi qu’un consultant senior et un autre, junior. Nous souhaitons, également, nous renforcer dans l’industriel en Ile-de-France avec le recrutement d’un collaborateur. Parallèlement, nous cherchons continuellement à élargir nos services aux investisseurs et restons attentifs aux opportunités pour développer le conseil en financement (« debt advisory »), les data centers et les énergies renouvelables et infrastructures. En matière de résidentiel, nous réfléchissons, également, à la possibilité de proposer des ventes par lots ou en démembrement.

C’est en période crise qu’il faut investir et se positionner pour préparer le retournement de cycle…

Quel(s) conseil(s) à un investisseur ?

De tous les segments d’investissement immobilier, le « core » nous paraît, aujourd’hui, le moins liquide. Or, il y a, désormais, des opportunités très intéressantes à réaliser sur le marché parisien, présentées entre 4 et 4,5 % de rendement. Etant donné qu’il n’y aura jamais une suroffre de ce type d’actifs sur la place parisienne, ils représentent, clairement, l’opportunité d’investissement la plus intéressante sur le marché…

Stephan von Barczy (JLL) : « la prime de risque immobilière est reconstituée »…