Quel regard portez-vous sur le marché locatif tertiaire de l’an passé ?

Nous avons eu affaire à une évolution contrintuitive. En effet, on aurait pu imaginer qu’effectivement le « bureau bashing », fortement alimenté par la crise du locatif aux Etats-Unis avec des taux de vacance à deux chiffres dans la plupart des mégalopoles américaines, allait frapper également les marchés locatifs européens. Ce n’est pas ce qui s’est passé : globalement, les principaux marchés locatifs européens, avec 7,5 millions de mètres carrés commercialisés, accusent un retrait limité à 19 % par rapport à leur moyenne décennale.

Le marché francilien se présente comme l’un de ceux qui ont le moins baissé en Europe, à –17 %, tandis que Berlin décroche de 30 % ; Dublin, de 50 % et Londres, de 23 %.

2023 restera, donc, un cru honorable, particulièrement lorsque l’on considère l’impact négatif en consommation de mètres carrés qu’aurait pu induire le télétravail (entre 1,5 et 2,5 jours par semaine selon les secteurs) et le flex office avec un taux de mutualisation moyen de 0,64 %.

C’est principalement le marché des grandes surfaces qui a souffert, la baisse atteignant 28 % alors que le créneau des petites et moyennes surfaces reste proche de sa moyenne décennale avec 1,3 million de mètres carrés placés.

Le marché hexagonal reste fortement alimenté par la dynamique des régions en baisse de seulement 17 % par rapport à 2022 et des progressions notables dans certaines métropoles régionales comme Bordeaux (+16 %).

Partout en Europe, les mêmes phénomènes structurent les marchés locatifs : la recherche de l’hyper centralité et les mobilités douces (transports en commun) avec un enjeu majeur d’attractivité/rétention des talents ; une réduction mécanique des surfaces prises à bail en raison du flex office et du télétravail, mais en contrepartie l’expérience client au bénéfice des utilisateurs proche d’une forme d’hôtellerie tertiaire (diversité de restauration, espaces collaboratifs, rooftop aménagé, club de sports…) ; une prime au neuf et un souci grandissant de performance énergétique sous le double effet de l’explosion du coût de l’énergie et d’un souci sincère de l’empreinte RSE des entreprises. L’enjeu, au final, dans cet univers tertiaire post Covid n’est pas seulement de procurer au salarié un lieu de distinction qui soit « comme à la maison », mais bien au contraire, un lieu d’échanges collaboratifs qui soit « mieux qu’à la maison »…

En résidentiel, les opérations « Panorama Beau Rivage », à Clamart… Illustrateur : Baptiste Lobjoy

Et sur celui de l’investissement ?

Les marchés de l’investissement européens enregistrent un décrochage brutal avec une baisse historique de plus de 50 % par rapport à l’année dernière : 133 milliards d’euros ont été investis, contre une moyenne de 270 milliards sur les cinq dernières années. Ce décrochage frappe la quasi-totalité des assets, au premier rang desquels les bureaux qui décrochent de 59 %, la logistique de 48 % et le commerce, de 40 %. Seule l’hôtellerie tire son épingle du jeu avec une baisse de « seulement » 26 %.

Le marché hexagonal enregistre un volume d’un peu plus de 14 milliards d’euros investis, soit une chute de 51 %, alors que l’Allemagne décroche de 57 %, les Pays-Bas de 66 % et l’Italie, de 49 %.

Il s’agit bien là d’une lame de fond européenne, fortement corrélée aux remontées successives des taux directeurs des banques centrales, qui ont entraîné un attentisme massif de l’ensemble des grands acteurs de l’immobilier d’investissement.

Pour autant, 2024 pourrait être l’année d’inflexion des marchés de l’investissement avec une fin attendue de la décompression des taux immobiliers sur le segment « prime », alimentée par des déclarations sur la stabilisation des taux directeurs de la BCE et la décompression des taux sur le marché obligataire…

… ou encore « Wellcome », à Lyon.

Un mot sur le marché résidentiel ?

Le marché résidentiel doit faire face à une crise inédite et historique de l’offre et de la demande. La promotion a été fortement heurtée, dans un premier temps, par la forte hausse des coûts de construction, puis par la hausse soudaine et massive des taux d’intérêt, couplée au retour de l’inflation provoquant une baisse du pouvoir d’achat des ménages. S’est ajoutée une déshérence du marché de l’immobilier résidentiel en raison de la fin annoncée du dispositif Pinel. La conséquence s’est naturellement exprimée par une correction brutale des ventes avec -31 % au troisième trimestre 2023. Les réservations nettes chutent de 46 %, les ventes aux investisseurs particuliers reculent de 58 % et les ventes aux propriétaires occupants, de 36 %. La dynamique de promotion résidentielle est donc fortement enrayée, les pouvoirs publics mettant plutôt l’accent sur les logements locatifs intermédiaires, avec un souci de développement de l’accessibilité au logement. On peut qualifier le parcours résidentiel de bloqué.

En tertiaire, l’opération « D5 », à Boulogne-Billancourt, qui accueillera le siège du groupe Renault sur 40 000 m2…

Comment voyez-vous évoluer ces marchés en 2024 ?

On peut espérer une lueur au bout du tunnel après 18 mois d’une crise historique, brutale, sans précédent, à la fin du second semestre 2024, avec une reprise progressive à partir de 2025. Une reprise autour d’un immobilier revisité, avec des enjeux forts de rénovation énergétique des actifs et de reconversion de certains immeubles obsolètes en d’autres usages, afin de leur retrouver une liquidité. On sera, donc, sur un immobilier différent, retravaillé, avec une prime pour des immeubles qui seront plus hybrides, réversibles et avec une empreinte carbone neutre.

Ainsi, le sujet de la RSE, porté chez nous, depuis des années, par Catherine Papillon, a su embarquer très tôt l’ensemble de nos métiers avec une réelle sincérité. Ce qui se mesure par des actions décisives, réalisées en 2023, comme, par exemple, la signature de trois chartes : la charte carbone Paris La Défense, qui vise à faire de ce territoire le premier quartier d’affaires post carbone en Europe ; la charte du territoire Grand Paris Sud-Ouest (GPSO) comprenant Boulogne-Billancourt, Issy-les-Moulineaux, Meudon et Sèvres ou encore la charte Ecowatt, qui vise à réduire notre consommation d’électricité et à embarquer nos collaborateurs et clients dans les « éco gestes »…

… « Up Gardens », à Gennevilliers…

Quels résultats pour l’activité de promotion de BNP Paribas Real Estate dans ce contexte ?

Le « business model » de BNP Paribas Real Estate a la spécificité de reposer sur quatre métiers (promotion, transaction, property et investment management) et une quinzaine de pays dont les cycles étaient, jusqu’à présent, très différents. Or, pour la première fois, tous les pays ont été touchés et trois de nos métiers impactés. Sans surprise, nos équipes promotion ont réduit la voilure : nous avons livré 1 400 logements en 2023, alors que nous étions plutôt sur un rythme annuel de 3 000. Néanmoins, 5 300 logements sont en cours de construction et correspondent à la vision que nous avons de ce métier de travailler à l’échelle du quartier de ville comme, par exemple, les opérations « O’Mathurins », à Bagneux ; « Panorama », à Clamart ou encore « Welcome », à Lyon.

En tertiaire, nous avons, tout de même, près de 300 000 m2 en cours de construction comme, par exemple, « Inspire » (22 000 m2), à La Défense, que nous avons vendu à Allianz Trade, le premier immeuble en ossature bois du quartier d’affaires ; « Exeo » (37 000 m2), au Portugal, pour la banque et la superbe opération mixte « D5 », à Boulogne-Billancourt, qui accueillera le siège du groupe Renault sur 40 000 m2. Nous avons, également, livré 70 000 m2 avec « Up Gardens », à Gennevilliers ou encore « Alcala » (20 000 m2), siège de L’Oréal à Madrid.

… « Exeo » (37 000 m2), au Portugal, pour la banque…

La promotion demeure, pour nous, une activité stratégique de notre « business model ». A ce titre, nous travaillons sur des projets emblématiques de la mixité des usages tels que l’opération de l’AP-HP qui accueillera un ensemble mixte tertiaire et dédié à l’économie sociale et solidaire en plein cœur de Paris, face à l’Hôtel de Ville…

Et pour les autres activités du groupe ?

Le property management a réalisé une très belle année en progression, portée par une offre de services totalement intégrée et européenne, qui couvre dix pays. Une activité qui s’est intégralement réinventée autour de la donnée avec, notamment, notre plateforme de data, baptisée Property Data Insight. Dans le cadre de cette activité, nous avons également développé une offre de services autour de l’ESG par la mise en place d’indicateurs de performance énergétique très appréciés de nos clients, comprenant un savoir-faire dans la gestion d’immeubles complexes tels que les grands campus tertiaires ou les IGH (immeubles de grande hauteur, ndlr).

Nos activités de transaction ont, certes, encaissé la baisse brutale des marchés de l’investissement, mais elle a été en partie compensée par notre forte diversification en expertise et en transactions locatives, ainsi que des positions de parts de marché de numéro 1 en France et en Allemagne, les deux premiers marchés d’Europe continentale.

Avec près de 30 milliards d’euros d’actifs sous gestion, dont 16 milliards en France, nos équipes de BNP Paribas Reim se sont investies dans une diversification plus européenne à l’exemple du lancement, depuis 2020, du European Impact Property Fund (EIPF), un des premiers fonds à impact en ligne avec l’article 9 de la nouvelle réglementation SFDR (« Sustainable finance disclosure regulation », ndlr), qui vise une réduction de 40 % des gaz à effet de serre de notre portefeuille européen au cours des dix prochaines années. Nous nous sommes aussi diversifiés sur les actifs de santé via notre fonds Healthcare Property Fund Europe (HPFE), qui gère près d’un milliard d’euros d’actifs (hôpitaux, cliniques, résidences semi-médicalisées). Enfin, nous avons, tout récemment, lancé un produit dont les équipes sont particulièrement fières, Pierre Impact, un nouveau fonds à impact social positif et qui vise à produire du résidentiel vert et accessible avec 10 % de l’allocation à de l’hyper social.

Un important travail est également réalisé sur la gestion de nos SCPI Accimmo Pierre, Accès Valeur Pierre ou encore de notre OPCI BNP Paribas Diversipierre afin de faire face aux soubresauts du marché qui touchent l’ensemble du secteur.

… « Inspire » (22 000 m2), à La Défense, le premier immeuble en ossature bois du quartier d’affaires…

Quelles perspectives pour le groupe ?

Globalement, je reste persuadé qu’après 18 mois d’une crise sans précédent, la résilience de notre « business model » avec ses quatre métiers, ses dix pays d’implantation et le soutien d’un actionnaire historique, puissant, BNP Paribas, nous permettent non seulement de traverser cette crise, mais aussi de préparer, avec les équipes, une entreprise tournée vers un plan 2025/2030…

Comment vous adaptez-vous aux nouvelles demandes dans le tertiaire ?

L’immobilier tertiaire est, sans aucun doute, l’une des branches les plus revisitées par la révolution des usages. L’impact du Covid, et dans son sillage du télétravail et du flex office, a été massif. Dès lors, nos bureaux de demain n’auront plus rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Il est attendu de nos collaboratrices et nos collaborateurs, lorsqu’ils viennent au bureau, d’en faire une destination choisie. Le bureau sera, donc, un lieu multi usages, serviciel, ouvert sur la ville. Ce qui ouvre un champ des possibles infini pour notre industrie avec plus de mixité dans nos opérations, de la réversibilité, un souci de labellisation et d’impact carbone que les entreprises vont intégrer dans leur charte d’occupation immobilière…Comme je le disais précédemment, le nouvel enjeu tertiaire est également de procurer au salarié un lieu « mieux qu’à la maison ». Dans cette mission, le property manager joue donc un rôle central de proposition de services et d’animation favorisant le vivre ensemble.

… ou encore un des projets emblématiques de la mixité des usages : l’opération de l’AP-HP qui accueillera un ensemble mixte tertiaire et dédié à l’économie sociale et solidaire en plein cœur de Paris, face à l’Hôtel de Ville. Autant d’exemples d’opérations signées BNP Paribas Real Estate.

Et dans le résidentiel ?

La crise qui frappe le logement sera encore accentuée, pour l’immobilier ancien, par l’impact des DPE qui vont faire sortir du marché un nombre significatif de logements. Le parcours résidentiel privé devrait, donc, mettre l’accent sur l’immobilier neuf qui présente plusieurs avantages : des DPE catégorie A, avec des conséquences positives en termes de charges locatives réduites ; des appartements avec un rapport intérieur/extérieur plus fluide à l’aune de l’effet Covid et du télétravail ; des espaces plus modulables et l’émergence de nouveaux concepts tel, par exemple, que la (pratique) pièce supplémentaire (chambre d’amis, bureau, salle de sports…) et une intensité d’usage qui va entraîner les promoteurs à travailler à l’échelle de quartiers de villes et non plus seulement d’immeubles indépendants…

Thierry Laroue-Pont (BNP Paribas Real Estate) : « une lueur au bout du tunnel à la fin du second semestre 2024 »…