Quel rapide bilan du marché de l’investissement en immobilier d’entreprise tel qu’il s’est présenté l’an passé ?

Le marché français de l’investissement immobilier a connu une forte baisse des volumes en 2023, avec seulement 12,8 milliards d’euros investis, soit le niveau le plus bas depuis 2010. La remontée des taux et la modification des usages immobiliers en partie issues de la crise sanitaire ont pesé sur l’activité des investisseurs, qui ont privilégié les segments les plus résilients et les actifs alternatifs. Les grandes transactions ont été les plus affectées par le resserrement des conditions de financement et la baisse des valeurs métriques. Seules 22 opérations de plus de 100 millions d’euros ont été recensées en 2023, contre 74 en 2022, avec des investisseurs étrangers moins actifs (27 % par rapport à 33 % en 2022). Malgré le contexte, les collecteurs d’épargne ont été dynamiques, avec une accélération de la diversification de leur patrimoine, notamment vers l’industriel et l’enseignement. Les bureaux en ont fait les frais avec une chute, surtout en Ile-de- France, illustrant une polarisation du marché francilien qui s’est accentuée, avec une forte activité dans Paris intra-muros, notamment sur la rive gauche, et un coup d’arrêt dans certains pôles de périphérie comme La Défense. Les commerces résistent mieux, notamment grâce aux ventes utilisateurs auprès des acteurs du luxe, évidemment, fait marquant de l’année. L’industriel est en recul à cause de l’absence de grandes transactions unitaires et grands portefeuilles, mais reste toujours attractif.

Comment voyez-vous évoluer ce marché cette année ?

Nous restons dans un contexte macro-économique et géopolitique incertain. Nous espérons donc, effectivement, qu’une stabilisation des taux directeurs redonnera un peu de visibilité aux investisseurs, relançant progressivement l’activité du marché, avec des valeurs métriques qui devraient trouver leur point d’équilibre. Nous notons, malgré tout, une très bonne activité sur les « petits volumes parisiens », notamment auprès des investisseurs privés.

Nous attendons cette reprise plus vraisemblablement au second semestre, compte tenu notamment du niveau annoncé des collectes.
Le marché pourrait être également plus animé par quelques actifs « distressed » ou encore des biens à transformer, car nous voyons les investisseurs poursuivre une stratégie de diversification, confirmant le succès croissant des actifs alternatifs (coliving, résidences étudiantes, établissements hôteliers…).

Evidemment, les enjeux environnementaux resteront aussi au cœur des stratégies des investisseurs (article 8/taxonomie européenne…).

Qu’en est-il du locatif pour les bureaux ?

Sur les marchés locatifs, le ralentissement économique et la dégradation modérée du marché de l’emploi nous conduisent à envisager une stabi- lisation des volumes placés autour de 1,8 à 2 millions de mètres carrés en Ile-de-France.
La dichotomie Paris/1ère couronne devrait encore s’amplifier compte tenu des livraisons prévues dans ces secteurs.
Les logiques de rationalisation bénéficieront principalement aux marchés de périphérie présentant le meilleur rapport qualité/prix, voire un effet d’aubaine.

Quelle orientation pour les valeurs locatives des bureaux ?

Avec des points hauts constatés et anticipés pour les taux de vacance en première couronne, nous voyons au mieux une stabilisation des valeurs locatives. Dans Paris, l’activité devrait encore porter une légère augmentation des valeurs locatives « prime »…

Et pour les taux de rendement ?

Là encore, la stabilisation des taux directeurs devrait être un « marqueur » en 2024. Notons, toutefois, une vraie compétition des actifs parisiens de relativement petits volumes, qui tendent à encourager une légère baisse des taux, notamment lorsque l’on prend la peine de comparer les prix au mètre carré par rapport à ceux que l’on a pu connaître voilà 18 mois…

Un mot sur le commerce et la logistique ?

S’agissant du commerce, ici aussi le contexte économique devrait peser sur la consommation et, donc, sur un secteur déjà marqué par les procédures. Les optimisations des réseaux devraient perdurer avec comme leitmotiv « moins, mais mieux » et des « flagships » qui conservent un rôle central, dans les secteurs du luxe et du sportswear notamment. Sans oublier d’évoquer les Jeux Olympiques 2024 qui devraient avoir une incidence positive pour certains des meilleurs axes parisiens. Enfin, souli- gnons la quasi-disparition des grands projets de création d’ensembles commerciaux.

Pour ce qui est de la logistique, le recul des volumes s’explique par l’absence de grandes transactions en actifs unitaires ou en portefeuilles (une seule de plus de 100 millions d’euros en 2023 à comparer à six en 2022). Il reste que les intérêts des investisseurs pour cette classe d’actifs demeurent palpables, d’autant que l’influence de l’objectif de zéro artificialisation nette des sols peut pousser à la rareté. Et ce qui est rare… peut devenir plus cher.

Quels résultats pour Knight Frank dans ces marchés ?

Nous avons réalisé une bonne, voire une très bonne année dans ce contexte car nous avons cinq centres de profits qui ont tous bien performés. En matière locative, étant plutôt concentrés dans Paris intra- muros, nous avons enregistré une croissance de part de marché, avec de belles transactions en bureaux comme en commerce. L’une des plus récentes concerne, par exemple, Cerruti au 53, avenue Hoche, de Real IS.

> Le « 53 Hoche » pris par Cerruti, une transaction Knight Frank

Notre département « capital markets » a conclu ou est en passe de conclure de nombreuses transactions, dont cinq de plus de 100 millions d’euros comme, par exemple, «Passy Plaza» et des opérations qui sont en phase de finalisation telles « Opéra Gramont » ou encore un grand centre commercial dans le nord de Paris. Au-delà des volumes, c’est la typologie des actifs que nous tenons à souligner. Il s’agit, évidemment, de bureaux certes, mais aussi de centres commerciaux, « retail park », opérations de transformation, logistique, résidentiel, data- center… Des opérations qui témoignent de nos capacités à accompagner nos clients dans leur stratégie de déploiement ou d’arbitrages.

> « Passy Plazza », une transaction signée Knight Frank

Comment se portent les autres activités de Knight Frank ?

Les deux autres activités majeures de Knight Frank en dehors de ces activités transactionnelles sont l’expertise et l’aménagement de bureaux (« design & delivery »).
Côté expertise, tout d’abord, l’activité a été très soutenue et quelque peu chahutée en raison de cet environnement complexe. Notre équipe, composée de près d’une vingtaine de professionnels, inter- vient sur l’immobilier commercial et résidentiel, notamment de luxe, en France entière, ainsi qu’en Suisse, Italie… C’est plus d’un millier de dossiers traités par an pour le compte d’investisseurs institutionnels et privés ou encore d’organismes de financement.
Notre département « design & delivery » développe et étoffe sa notoriété tant auprès de grands utilisateurs qu’auprès d’investisseurs dans le cadre d’opérations de rénovation. Nous sommes ainsi très fiers d’être intervenus dans la réalisation du siège de la SFL.

SFL ©Knight Frank – Seignette

> Knight Frank est intervenu via son département « design & delivery » dans la réalisation du siège de la SFL…

Quelles nouvelles demandes et quels nouveaux mandats à l’investissement ?

Nous intervenons aujourd’hui pour le compte de sociétés de conseil, acteurs du luxe, cabinets d’avocats, mais aussi groupes industriels et entités administratives dans leur réflexion ou mouvements immobiliers. Nous tenons aussi à souligner que grâce à la couverture mondiale de Knight Frank (487 bureaux, 53 pays, 20 000 collaborateurs), nous intervenons également pour de grands groupes sur tous les continents dans le cadre de projets ponctuels ou de gestion/suivi de portefeuilles d’immobilier d’exploitation. A l’offre, nous avons la chance de commercialiser de très belles opérations comme « Capital 8 », le « 44 Châteaudun » d’AG2R La Mondiale, la Galerie Royale de Covea, mais aussi de très belles opérations en première couronne comme « Stories », à Saint-Ouen ; « Equilis » ou « Everyday », à Issy-les-Moulineaux… Au total, ce sont plus de 350 mandats sur lesquels nous travaillons aujourd’hui.

> Le « 44 Chateaudun », un exemple de mandat de commercialisation de Knight Frank…

A l’investissement, nous sommes mandatés en bureaux sur plusieurs sujets, des actifs parisiens qui enregistrent de très beaux succès avec de belles réponses du marché en nombre et en prix. Des opérations « off market » dans le cadre de transformation sont aujourd’hui sous exclusivité. En commerces, nous avons des négociations sur deux « retail parks » bien engagées dans le nord de « Le marché offre l’opportunité de “rentrer” sur des immeubles à des prix très attractifs »… La France, ainsi que des pieds d’immeubles. En logistique et datacenters enfin, nous devrions lancer de beaux sujets, dont un portefeuille paneuropéen en collaboration avec notre équipe « crossborder »…

Plus généralement, quelle stratégie de développement aujourd’hui pour Knight Frank dans ces marchés ?

C’est, évidemment, encore et toujours le développement de nos activités phares, pour répondre aux besoins de nos clients en termes de diversification, soutenir la croissance de nos activités expertise et « design & delivery », ainsi que renforcer les synergies avec nos équipes « private office » dédiée aux investisseurs privés, en particulier sur les classes d’actifs résidentiels. Chacune de ces activités doit être enrichie en intégrant les dernières innovations que nous connaissons, que ce soit dans le traitement des données ou le marketing opérationnel, afin d’aller encore plus loin en termes d’efficacité, qualité et rapidité.

Nous nous engageons également, à notre échelle, en matière de RSE, avec des actions et soutien en matière d’environnement et de santé, que nous sommes en passe de renforcer…

Quel(s) conseil(s) à un utilisateur ?

Sans aucun doute, profiter des effets d’aubaine dans certains marchés de première couronne, mais aussi sur des immeubles parisiens.

Et à un investisseur ?

Un peu dans le même esprit, adopter une démarche opportuniste. Le marché offre, clairement, l’opportunité de « rentrer » sur des immeubles à des prix très attractifs…

> … ou encore la « Galerie Royale »

Vincent Bollaert (Knight Frank France) : "la stabilisation des taux directeurs devrait être un “marqueur” en 2024"