Vous avez pris la direction générale de Knight Frank France début février dernier. Quel premier bilan ?

Aujourd’hui, Knight Frank regroupe, dans l’Hexagone, une équipe de 75 collaborateurs comprenant l’investissement, l’agence bureaux, l’agence « retail », le département « design & delivery » (travaux, ndlr), ainsi qu’une équipe expertise. Sans oublier les fonctions support que représentent le marketing, ainsi que notre service « research ».

Comme de nombreux acteurs du marché, nous nous sommes très vite adaptés à la période de confinement. L’ensemble des collaborateurs s’est entièrement mobilisé afin, non seulement de rester en contact avec nos clients, mais également en réalisant un travail de fond sur l’ensemble de nos outils et systèmes. Et ce, en demeurant, bien entendu, actifs dans la réalisation de transactions, notamment à l’investissement, mais pas que… Nous avons ainsi, par exemple, bouclé l’acquisition par Primonial REIM, auprès de PGIM, de trois immeubles de bureaux du « M Campus », à Meudon (92), représentant, au total, plus de 21 000 m2 ; l’acquisition par La Française Real Estate Managers, auprès de Batipart, Covea et des ACM, des 22 000 m2 de bureaux qui seront occupés par Safran à Malakoff (92) ou encore l’acquisition par l’Unofi, auprès de LaSalle Investment Management, des 25 000 m2 du Printemps de Lille (59), opération de « retail investment », ce qui mérite d’être souligné. Des transactions entre 100 et 200 millions d’euros, quasi « off market ». Et d’autres sont en cours… Sans parler de celles pour lesquelles le marketing a été lancé, puis interrompu, puis repris. Notre équipe « retail leasing » a également bouclé la deuxième implantation d’Ikea, en l’occurrence rue de Rivoli, après avoir réalisé la première, place de la Madeleine.

Le « M Campus », à Meudon (92), dans lequel Knight Frank a bouclé l’acquisition, par Primonial REIM auprès de PGIM, de trois immeubles…

Et s’agissant des autres activités ?

Notre département expertise a été très fortement sollicité pendant cette période marquée, évidemment, par de grandes interrogations de la part de nos clients. L’équipe, qui comprend une quinzaine d’experts, est emmenée par trois spécialistes, Marie Cameron, pour ce qui concerne le résidentiel, et Kate Begg et Héloïse Felman qui, pour leur part, se chargent des classes d’actifs commerciaux, bureaux, retail et logistique. Intervenant pour le compte des plus grands investisseurs, établissements bancaires…, cette équipe expertise chaque année pour plus de 2,5 milliards d’euros d’actifs.

Notre département « design & delivery » intervient, pour sa part, pour le compte d’utilisateurs de bureaux ou enseignes dans la définition et la réalisation de leurs espaces et il développe, également, une assistance auprès des investisseurs dans le réalisation de « marketing suit » et outils marketing.

Le « 50 Montaigne » (8ème) de Chelsfield…

Quant à nos équipes locatives, elles ont, bien sûr, travaillé sur leurs mandats et mis en place de nouvelles actions dans ce contexte particulier, marqué par un certain attentisme. Nous avons la chance de nous être vus confier de très beaux mandats de commercialisation avant ou juste après la période de confinement, à l’exemple du « 50 Montaigne » (8^ème) de Chelsfield ; d’« Hello World » propriété de Generali au 100, rue Réaumur (2^ème) ; de « Great » d’Ardian au 46, avenue de la Grande Armée (17^ème) ou, plus récemment, de la tour PB6 (tour EDF), à La Défense (92), d’« Urbia », à Clichy ou encore du « Bâtiment 029 » dans le parc du Pont de Flandre d’Icade dans le 19^ème arrondissement.

… ou encore « Hello World » propriété de Generali au 100, rue Réaumur (2ème), deux exemples de mandats de commercialisation récemment confiés à Knight Frank

Vous évoquez l’attentisme sur le marché locatif. A ce propos, quelle nouvelle demande ?

Clairement, les grands utilisateurs définissent de nouvelles stratégies immobilières qui doivent intégrer les enjeux relations humaines, flexibilité, mesures sanitaires, notamment de distanciation… Certes, nous assistons à l’émergence d’un marché « gris » constitué de recherches de successeurs et sous-locations. Néanmoins, Paris et la plupart des secteurs de première couronne partent avec des taux de vacance historiquement bas et, dans ce cadre, les actifs bien desservis tireront, évidemment, leur épingle du jeu. En revanche, dans certains secteurs des première et seconde couronnes, des schémas de reconversion vont devoir être engagés… Si nous restons, donc, des optimistes convaincus pour ce qui est des actifs de bureaux dans les quartiers les mieux desservis par les transports en commun et qui continueront à être plébiscités par les utilisateurs, nous aurons besoin également de l’appui des autorités publiques pour ce qui concerne le stock d’actifs obsolètes qu’il conviendra de repenser ou reconvertir… Mais quoiqu’il arrive, cette crise sanitaire sera source de mouvements au même titre potentiellement que le Brexit.

Quelle orientation pour les valeurs locatives ?

Nous n’anticipons pas de forte baisse des valeurs locatives. Dans Paris, celle-ci sera particulièrement mesurée. Dans les autres secteurs, nous devrions essentiellement assister à un accroissement des mesures d’accompagnement. Bien entendu, certains d’entre eux se trouvent dans une situation plus complexe que d’autres. Ainsi, par exemple, à La Défense, où nous devrions observer un allongement des délais d’écoulement, malgré de bonnes nouvelles qui s’annoncent sur le plan locatif…

Au total, quelle prévision d’activité dans le locatif tertiaire ?

Nous anticipons un atterrissage de la demande placée entre 1,3 et 1,4 million de mètres carrés, sachant que ce volume intègre trois grands mouvements que représente la prise en location par Total des 120 000 m2 de « The Link », à La Défense ; celle par BCG des 25 000 m2 de « LIve ! » au 75, avenue de la Grande-Armée, ainsi que celle par Engie de plus de 130 000 m2 à La Garenne Colombes (92)… Au final, une demande placée pratiquement divisée par deux. Mais, parallèlement, il convient de souligner la qualité des immeubles de bureaux aujourd’hui réalisés avec des niveaux de services, de normes environnementales… inédits. Le tout dans un contexte économique où, objectivement, les mesures prises par les pouvoirs publics pour soutenir l’économie sont réellement exceptionnelles… Autant de facteurs positifs pour le marché !

Et l’investissement ?

Ici, nous prévoyons un atterrissage autour des 25/27 milliards d’euros investis, contre 38 milliards d’euros environ un an auparavant. Le marché retomberait, ainsi, aux niveaux observés en 2016/2017, dans un contexte où les quotités financées deviennent plus limités, avec une grande sélectivité quant aux actifs financés. Un marché très orienté « core », où les investisseurs français demeurent dominants, compagnies d’assurances et SCPI en tête, dont les collectes repartent… Des investisseurs dont l’appétit porte, également, sur la logistique et le résidentiel.

De nouveaux mandats ?

Nous menons à leur terme différentes opérations dont l’une porte sur un immeuble à Saint-Denis (93) ou encore une autre sur le « Carré Saint-Germain »… Nous lançons des opérations de commerces et de bureaux dans l’Est de Paris, en première couronne Sud-Ouest, à Saint-Denis, Nanterre, des développements dans le Nord et le Sud de la France… Sans compter d’autres mandats portant sur des actifs de commerce de centre-ville…

Dans ce contexte particulier, quelle stratégie de développement ?

Compte tenu des contraintes liées à la crise sanitaire, nos recrutements initialement prévus ont été gelés, bien qu’il y ait clairement une volonté de Knight Frank de développement de l’implantation française au sein d’un groupe qui emploie, aujourd’hui, près de 20 000 collaborateurs présents dans une soixantaine de pays. Si nous sommes donc toujours dans une phase d’observation, il est très probable que nous reprenions nos recrutements, tout en demeurant, évidemment, prudents. Nous visons, en particulier, les domaines de la logistique, ainsi que du résidentiel. Ce dernier secteur est l’un de ceux sur lesquels Knight Frank occupe une position de leader à travers le monde, notamment au Royaume-Uni. Ainsi, Dolphin Square, récemment vendue pour près de 850 millions de livres sterling, est la plus importante opération de résidentiel jamais réalisée outre-Manche. Il est également probable que nous soyons amenés à renforcer notre équipe bureaux, plutôt en première couronne car c’est également là que nos clients nous attendent…

Vincent Bollaert (Knight Frank) : « pas de fortes baisses des valeurs locatives »…