Quel rapide portrait du marché tertiaire locatif francilien tel qu’il se présente depuis le début de l’année ?

Le marché des bureaux en Ile-de-France traverse une phase de tension et d’attentisme prononcés depuis le début de l’année 2025. Après un deuxième trimestre historiquement atone, une très légère amélioration a été observée au troisième trimestre avec 408 200 m² commercialisés. Ainsi, le cumul annuel atteint seulement 1 193 000 m² à fin septembre (-8 % sur un an et -21 % par rapport à la moyenne décennale). Nous avons basculé durablement dans un marché francilien moyen à moins de 2 millions de mètres carrés par an. La hausse des coûts immobiliers, le télétravail, l’« offshoring » de certaines activités et l’essor de l’intelligence artificielle sont autant de facteurs de destruction de mètres carrés de bureaux placés.

La périphérie continue-t-elle à mieux tirer son épingle du jeu que Paris intra-muros comme au 1er semestre ?

Nous l’avions annoncé au Mipim : oui, cette dynamique se confirme. Tandis que Paris enregistre une baisse de la demande placée (516 500 m², contre 629 600 m² à la fin du troisième trimestre 2024), la première couronne atteint 270 600 m², soit une hausse de 28 % sur un an, stimulée notamment par l’implantation d’utilisateurs publics et par l’effet domino de la hausse des loyers dans les secteurs centraux. Confrontées à un marché dont les niveaux de loyers sont incompatibles avec leur budget dans les meilleurs secteurs parisiens, les entreprises doivent choisir entre la périphérie ou renégocier leurs baux.

De même, les grandes surfaces marquent-elles toujours le pas comme au cours des premiers mois de l’année ?

Le phénomène s’accentue : la demande sur les grandes surfaces (de plus de 5 000 m²) recule de 16 %, tant en volume qu’en nombre, avec seulement 32 transactions pour moins de 350 000 m² placés depuis janvier. Cette contraction s’explique par la réticence persistante des grands utilisateurs à s’engager sur de nouveaux projets d’envergure dans le contexte d’incertitudes économiques et organisationnelles. Ces résultats confirment qu’il faudra dorénavant diviser les grands immeubles en cours de commercialisation bien plus tôt qu’auparavant.

Plus généralement, quelle prévision de volume global commercialisé sur l’ensemble de l’année ?

Au regard du rythme actuel et des anticipations de fin d’année, la projection annuelle se stabilise autour d’1,6 million de mètres carrés commercialisés pour 2025, un niveau très inférieur à la moyenne historique, hors année exceptionnelle de 2020. Cette prévision reflète l’attentisme dominant, la progression limitée de l’activité au quatrième trimestre (environ 400 000 m² attendus), ainsi que les arbitrages encore hésitants des grands utilisateurs. Aux environs de 40 à 42 transactions supérieures à 5 000 m² devraient être bouclées, un nombre bien inférieur aux moyennes de long terme.

L’appétence pour les bureaux est-elle toujours égale ?

L’appétence globale des utilisateurs pour les bureaux demeure, mais évolue. La demande est plus sélective et rationnelle, privilégiant l’optimisation des mètres carrés, la qualité des actifs (localisation, certifications, services), ainsi que la flexibilité des baux. Beaucoup d’entreprises choisissent ainsi de renégocier leur bail plutôt que d’initier un déménagement, la tension sur les loyers dans les secteurs centraux et la pression sur les marges rendant les installations nouvelles plus difficiles. Le coût d’un déménagement est aussi une variable à prendre en compte puisque les « fit-out costs » ont fortement augmenté ces quatre dernières années, rendant le « move » plus difficile à valider pour les entreprises. Enfin, un différentiel marqué persiste entre les actifs « prime », toujours recherchés, et les immeubles standards souffrant davantage de la montée de la vacance.

Comment voyez-vous évoluer ce marché au cours des prochains mois ?

A court terme, le marché devrait rester marqué par une forme de stabilité contrainte et par une tension sur l’offre disponible. Attention notamment à l’offre immédiate qui augmente fortement dans le Quartier central des affaires (QCA) où le taux de vacance vient de passer la barre des 5 %. Les livraisons de nouvelles surfaces, notamment en périphérie, seront importantes jusqu’à fin 2025, ce qui alimentera une vacance particulièrement élevée dans certains secteurs. Pour relancer la dynamique de marché, l’évolution des fondamentaux économiques, des arbitrages favorables des grands comptes et un ajustement des valeurs locatives seront nécessaires.

> Le ministère de l’Education Nationale dans « Six Degrés » (37 400 m2) à Gentilly (94), un exemple de transaction bouclée par JLL @DR

Quelles perspectives pour les valeurs locatives ?

Les loyers « prime » continuent de progresser dans les secteurs les plus recherchés. Un nouveau record est ainsi atteint dans le QCA à 1 230 euros (HT, HC)/m² (+18 % sur un an). La Défense connaît une progression modérée (+4 %, à 550 euros), tandis que la 1ère Couronne Sud affiche une augmentation notable (+7 %, à 450 euros), traduisant une attractivité renforcée pour les alternatives à Paris intra-muros. A l’inverse, la pression concurrentielle et l’abondance de l’offre sur les marchés périphériques devraient accentuer le mouvement de différenciation des valeurs locatives selon la qualité et l’emplacement des immeubles. Les valeurs faciales devraient rester élevées dans le QCA, tandis que les mesures d’accompagnement continueront d’augmenter. Le choix dans le centre de Paris étant plus important qu’il y a quelques mois, la concurrence va inévitablement s’accroître…

Quels résultats pour JLL dans ce marché ?

JLL a su s’adapter à ce contexte mouvant, avec une implication reconnue sur l’ensemble de la région francilienne, tant auprès des grands utilisateurs que des acteurs publics et privés plus locaux. Nous continuons donc à adresser l’ensemble des géographies et des créneaux de surfaces et ce, malgré les adversités. Nous avons à cœur d’apporter le meilleur conseil à nos clients, qu’ils soient utilisateurs ou investisseurs, dans ce contexte inédit. De grandes entreprises nous ont fait confiance, en témoignent les signatures d’un groupe tech pour 20 000 m2 à La Madeleine, d’un grand acteur du sport pour plus de 10 000 m2, de Shiseido sur « Tempo » (7 500 m²) à Neuilly (92) ou encore du ministère de l’Education Nationale sur « Six Degrés » (37 400 m²) à Gentilly (94), démontrant la capacité de JLL à sécuriser des transactions majeures dans un marché ralenti.

Aujourd’hui, quelle stratégie de développement dans ce marché ?

Notre stratégie vise à accompagner nos clients dans la transformation de leur portefeuille immobilier, en mettant l’accent sur la flexibilité, l’optimisation des coûts et la durabilité. Nous intégrons la data, l’IA et l’analyse prédictive pour anticiper les besoins des utilisateurs et proposer des scénarios adaptés au travail hybride. De nouvelles fonctionnalités de notre outil NXT seront bientôt annoncées… Nous aidons ainsi nos clients à prendre des décisions éclairées et à saisir les opportunités d’un marché polarisé, en valorisant les talents de nos équipes pour offrir aux entreprises de « meilleurs bureaux ».

Quel(s) conseil(s) à un utilisateur en recherche ?

Dans le contexte actuel, il est essentiel d’adopter une démarche structurée fondée sur l’anticipation des mouvements de marché et sur la sélectivité des critères (qualité intrinsèque, potentiel de revalorisation, certifications, localisation, services). L’utilisateur doit saisir l’opportunité de la diversité de l’offre actuelle dans certains secteurs, tout en sécurisant des conditions avantageuses grâce à la négociation, notamment sur les mesures d’accompagnement. Enfin, être accompagné par un expert capable de mobiliser une vision prospective, appuyée sur la data et sur l’analyse des tendances, représente un atout pour transformer une contrainte de marché en levier de performance immobilière.

Yannis de Francesco (JLL) : "le marché devrait rester marqué par une forme de stabilité contrainte"…