Nous sommes à un mois environ de la clôture des dossiers pour l'appel à candidatures de la 3ème édition du Grand Prix Essec de la Ville solidaire et de l'Immobilier responsable. Quel est l’objectif de ce prix ?

Dans un contexte de montée des exclusions sociales et de la grande précarité, j’ai créé le Grand Prix Essec de la Ville solidaire et de l'Immobilier responsable au sein d’une école de management sensibilisée aux questions environnementales et aux thèmes chers à l’économie sociale et solidaire, pour mettre en lumière à la fois l’urgence des enjeux de solidarités urbaines et les dispositifs qui ont fait leur preuve ou qui émergent pour répondre à cette urgence. À travers ce prix, il s’agit non seulement de proposer une vitrine et une tribune pour ces projets solidaires, mais aussi de créer un espace de rencontre entre plusieurs “mondes”. Cette rencontre des acteurs se fait non seulement à travers la diversité des candidats et lauréats (associations, collectivités locales, bailleurs sociaux, entreprises), mais aussi à travers les mécènes du prix et les membres du jury qui rassemble à la fois des représentants des grands bailleurs privés (avec la FSIF) et des partenaires de l'insertion comme l’Uniopss et la Fondation Abbé Pierre, mais encore la Mairie de Paris, la Métropole du Grand Paris ou des acteurs internationaux comme l’OCDE, l’Association Internationale des Maires Francophones et les Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique. Au-delà de cette expérience de décloisonnement, l’objectif du Grand Prix de la Ville solidaire est de faire émerger de nouveaux modèles économiques et financiers permettant de répliquer et démultiplier les diverses initiatives déployées par les lauréats et nommés mis en valeur par le Prix, en faveur des populations les plus marginalisées. En effet, les formes d’exclusion se manifestent de plus en plus par une crise du logement, que ne permet pas d’enrayer les efforts des pouvoirs publics en matière de logement social. Même si le secteur HLM permet de loger 10 millions de personnes en France dans des logements abordables (à des loyers, en moyenne, 30 % inférieurs au marché privé), une frange non négligeable de la population réside dans des logements dont le prix grèvent leur budget modeste. Pire encore, un million de personnes en France n’ont pas de logement, dont une partie vit sans abris, une partie dans des logements de fortune, à une époque où l’on voit réapparaître des bidonvilles, une partie logés en chambres d’hôtel ou encore une partie en hébergement “contraint” chez des tiers. À ce million de citoyens sans logement personnel, il faut ajouter les près de trois millions de mal logés (dans des logements indécents et/ou surpeuplés). C’est en priorité à ces quatre millions de pas ou mal logés, identifiés par la Fondation Abbé Pierre, l’un des partenaires du prix, que s’adressent les dispositifs récompensés par ce prix.

Compte tenu de la situation sanitaire, ce Grand Prix prend tout son sens. Quelle est votre vision d’une ville solidaire et durable ?

Le concept de ville solidaire définit la ville qui met en place des dispositifs précis contre l’exclusion des différents types de population, dans une logique de solidarité afin d’assurer la cohabitation de tous, y compris des populations qui n’auraient pas les moyens suffisants d’y rester, dans les centres-villes comme dans les quartiers plus périphériques. Dans le contexte de hausse généralisée du coût immobilier, la ville solidaire remédie à la gentrification des espaces, en assurant la mixité et le maintien sur place de populations qui y ont toujours habité – les personnes âgées, les familles monoparentales, les "key workers" (ces travailleurs qui apportent des services essentiels au fonctionnement des métropoles sans avoir toujours les moyens de s’y loger), les personnes souffrant de handicap, que les difficultés d’insertion professionnelle et sociale rendent plus précaires financièrement. La ville solidaire et durable au sens large favorise le vivre-ensemble par un accompagnement des personnes précaires non seulement dans leurs démarches d’accès à un logement décent et durable, mais également dans leur réinsertion sociale et professionnelle. C’est également celle qui laisse une place à chacun, en termes de logements, d’espaces publics et de transports. La ville solidaire et durable permet aux populations qui y travaillent, d’y vivre. Pour qu’une ville fonctionne bien durablement et qu’elle n’ait pas de désordres sociaux ni même économiques, elle doit être capable d’accueillir la main-d’œuvre, des actifs jeunes et moins jeunes, des personnes âgées, qui ont besoin de la centralité de la ville, y compris les services qui y sont liés. Se pose également la question migratoire parce que les villes ont toujours été des villes d’accueil, de migrations internes ou extérieures. Une ville solidaire et durable est donc fondamentalement mixte : mixte, par la diversité des populations qui y cohabitent et s’y croisent, mais aussi mixte par la diversité des fonctions des espaces : on y travaille, on y réside, on y circule, échange... Parce que les confinements successifs et les couvre-feux qu’exige la situation sanitaire, cette fonction d’échange et de rencontres est mise à mal en cette période, et les logements deviennent des espaces de repli d’une importance accrue. Que chacun dispose d’un logement décent et abordable devient, dans ce contexte, encore plus crucial.

Quels types de projets et d'acteurs sont récompensés par ce prix ?

Le Grand Prix se décline en cinq catégories donnant lieu à autant de lauréats couvrant un large horizon d'initiatives solidaires en France (Prix de la Finance solidaire, du Grand Paris, et de l’Habitat responsable et innovant) et dans la francophonie (Prix Ville hospitalière et Prix de la Ville africaine et durable). Ils récompensent des acteurs aussi divers que des associations, des collectivités locales, des collectifs d’étudiants, des bailleurs sociaux, des entreprises, de la petite startup à l’entreprise de promotion immobilière développant une expérimentation solidaire. Au-delà de l’accès à un logement durable, c’est bien souvent tout un accompagnement social qui est proposé à des personnes marginalisées à travers les dispositifs récompensés. L’enjeu est non seulement de sécuriser le cadre de vie, en offrant "un logement d’abord", en partant du principe qu’il s’agit de la première étape vers une insertion réussie, mais aussi d’accompagner vers une participation à la vie de la cité, en recréant du lien social. Pour ce faire, ces dispositifs peuvent prendre des formes diverses : maisons relais, pensions de famille, béguinages modernes, logements adaptés à des personnes en situation de handicap, logements dans des lieux combinant diverses activités (activités de loisirs, mais aussi professionnelles, comme des micro-crèches, des boutiques solidaires ou encore l’hébergement de structures de l'économie sociale et solidaire). Le prix de la Ville Hospitalière est revenu en 2020 à l’initiative « Héberger Autrement », portée par le Samu social de Paris et le Groupe Galia, qui proposent dans le 14ème arrondissement de Paris un nouveau type de centre d’hébergement, proche du logement, au cœur de Paris, mettant à disposition un ensemble de services adaptés aux besoins des familles, et ouvert sur son quartier d’implantation. L’objectif est de permettre une autonomie malgré les situations de précarité et de favoriser une inclusion dans la cité. Loin de l’hébergement hôtelier et des centres d’hébergement, il s’agit de créer, sur mesure, un véritable lieu de vie accessible aux familles les plus pauvres avec des standards de qualité élevés. Le projet « Vivre en béguinage », lauréat du prix 2020 Habitat responsable et innovant, propose une forme d’hébergement alternative à l’hébergement en institution pour des personnes en perte d’autonomie : des petits ensembles de logements indépendants, associés à des espaces communs partagés, permettant de combiner vie autonome et sécurisation de l’environnement en réunissant souvent des personnes ayant besoin d’un accompagnement et des personnes souhaitant intégrer un projet de vie spécifique, social et solidaire. Pour permettre le développement de ce type de projets, la conception de nouveaux modèles de financements qui garantissent une pérennité et une réplicabilité de ces dispositifs est nécessaire. C’est pourquoi une catégorie du Prix est dédiée au financement solidaire et la ville durable. En 2020, c’est Solifap, qui mobilise la finance solidaire pour accroître l’offre de logements pour les personnes défavorisées, qui l’a remporté. Ce dispositif de financement donne aux acteurs de l’insertion par le logement les moyens de produire des logements. Et pour citer un dernier exemple de lauréat emblématique de cette volonté de faire émerger de nouveaux modèles de conception de logement solidaire, l’association Quatorze a remporté en 2020 le Prix du Grand Paris Innovation urbaine solidaire pour son programme Weko, qui vise la résorption des bidonvilles. Pour ce faire, Weko s’appuie sur l’investissement en nature de propriétaires publics et privés possédant des réserves foncières dégradées : la construction de logements neufs additionnels, cédés en accession à la propriété par un mécanisme de vente en volumes, permet le financement de la rénovation du bâti existant en logement très social.

Plus d'information sur le prix : http://gdprix-villesolidaire.essec.edu/ Rappel de la date limite d'envoi des dossiers : 25 avril à minuit.

iPodcast avec Ingrid Nappi (Essec)