Logement

André Yché : "Congrès HLM, après la fête…"

09 Oct 2023 - 12h50
André Yché
André Yché

Alors que le Congrès HLM a fermé ses portes la semaine dernière, le président du conseil de surveillance de CDC Habitat, André Yché, rappelle qu’ « un grand ministère sera celui qui permettra au Pouvoir central de recentrer ses énergies sur ses missions régaliennes et la régionalisation des normes économiques et sociales constitue la clef de voûte d’une réforme de la Constitution qui dessine enfin l’avenir du pays »…

« Je tiens ce monde pour ce qu’il est : un théâtre où chacun doit jouer son rôle »
William Shakespeare / Le Marchand de Venise.

Ainsi en fut-il du récent congrès des HLM : les bailleurs sociaux ont rappelé leur rôle essentiel dans la préservation de la cohésion sociale, les promoteurs se sont désolés de l’atonie persistante des marchés, le ministre, avec un brio de tribunicien et un indéniable talent, s’est efforcé de rassurer les uns et les autres en suggérant qu’un capitaine tenait enfin la barre, que l’Etat maîtrisait la situation et ne les décevrait pas. Applaudissements prolongés alors que le rideau tombe et que le banquet final débute.

Et cependant, sur scène et dans les travées règne comme une ambiance de fin d’époque, le sentiment que l’Histoire s’accélère et qu’il est urgent de réinventer un Nouveau Monde pour s’extraire d’une crise inédite, car multiforme : crise de la demande solvable suscitée par l’inflation et la hausse spectaculaire des taux d’intérêt ; crise de l’offre suscitée par l’envolée des coûts de construction et la raréfaction (et donc le renchérissement) du foncier constructible ; nuages sombres porteurs de normes thermiques dont le mur, à court terme, paraît infranchissable. Et au-delà de l’habitat, des plaques tectoniques en mouvement : des centaines de centres commerciaux, à l’entrée des villes moyennes, à reconfigurer sous la pression de la distribution numérique ; des parcs de bureaux déserts, en périphérie urbaine, privés de toute perspective de remise sur le marché depuis l’explosion inopinée et difficilement réversible du télétravail et qui ont perdu 90 % de leur valeur. L’heure des comptes a sonné.

Au total, des dizaines de milliards à trouver et que nul ne sait où chercher : pas dans les poches percées de l’Etat, alors que les riches investisseurs privés sont passés en « mode veille ».

S’impose donc, à l’évidence, la nécessité d’un « choc de confiance », pour sacrifier à l’expression consacrée et, elle aussi, démonétisée, dont la crédibilité aux yeux d’une opinion désabusée ne peut reposer que sur le seul socle qui vaille encore : un exposé lucide de la situation.

Quelle que soit l’importance essentielle de l’habitat, mes chers camarades, les priorités de l’Etat central sont ailleurs, et c’est l’opinion publique de la France profonde, véritable et majoritaire, qui les dicte : la sécurité, la justice, l’éducation, la santé et, in fine, l’équilibre des finances et la compétitivité de l’économie, qui détermine le pouvoir d’achat. Quel que soit le discours servi aux sondeurs par quelques centaines de citoyens constitutifs d’un « échantillon », les 3 050 milliards d’euros de dette souveraine trottent dans les têtes des classes moyennes, qui stabilisent encore, fiscalement et civiquement, le pays.

Et donc, l’époque d’une grande politique du logement centralisée est définitivement révolue. Le seul échelon solvable de décentralisation disposant d’un potentiel d’investissement et d’une capacité de pilotage stratégique est celui des régions et des métropoles. Quoi qu’on en ait, elles devront donc assumer cette responsabilité dans laquelle elles ne sont guère pressées, en vérité, de s’investir, car elle est grosse de nombreux soucis et de lourdes dépenses : il faudra alors créer des fonds territoriaux de soutien à l’investissement, pour faciliter le portage d’actifs à transformer, à remettre aux normes ; il faudra aussi définir et accompagner maintes opérations d’intérêt territorial…

Mais la véritable rupture est ailleurs et elle est véritablement historique. Pour que cette délégation de responsabilité, et donc de charges, soit finalement presqu’acceptable, puisqu’inévitable, elle doit s’accompagner de véritables transferts de compétences : la programmation, les zonages, bien sûr ; mais surtout, l’adaptation des normes de toutes natures et la déclinaison de principes nationaux, à ce jour gravés dans le marbre d’un Panthéon fissuré : Zan, SRU… non pas pour renier la cohésion nationale, mais pour la revitaliser par la réaffirmation des réalités du terrain, devant le constat nostalgique d’un colbertisme héréditaire devenu, malheureusement, purement prescriptif.

Enfin, au cœur de cette réforme, une loi foncière conférant, dans le cadre de chaque « opération d’intérêt territorial », à la collectivité tutélaire la faculté de plafonner le niveau des charges foncières et des « intrants » voués à la transformation, de manière à assurer la soutenabilité économique des projets. Les multiples formules de démembrement ne préfigurent-elles pas cette réponse pragmatique à un besoin manifeste de régulation ? Et la fiscalité foncière n’est-elle pas modulable, selon les choix des Pouvoirs locaux ?

Voilà l’épreuve de vérité, dont la portée est immense. Bien au-delà de l’habitat, elle peut ouvrir la voie d’une nouvelle étape de décentralisation rationnalisée : comment ignorer, aujourd’hui, que les mobilités et le logement relèvent d’un même bloc de compétences ? La noblesse de l’Etat n’est plus simplement de « maintenir », mais de transformer ce qui doit l’être. Un grand ministère sera celui qui permettra au Pouvoir central de recentrer ses énergies sur ses missions régaliennes et la régionalisation des normes économiques et sociales constitue la clef de voûte d’une réforme de la Constitution qui dessine enfin l’avenir du pays.

« Rien n’arrête une idée dont le temps est venu »
Victor Hugo

André Yché

 

Valérie Garnier