« Les récentes émeutes urbaines ont mis en évidence le paradoxe de l’Anru, vingt ans après sa création, qui a parfaitement mené à bien la rénovation de l’habitat social (de meilleure qualité thermique que l’habitat privé) et la création d’équipements publics (qui, pour certains d’entre eux, sont partis en fumée…) sans parvenir à modifier sensiblement le peuplement des quartiers prioritaires de la Ville.

La solution est pourtant identifiée depuis longtemps : c’est le développement de logements intermédiaires destinés à accueillir des classes moyennes, considérées, à juste titre, comme un facteur de stabilisation de cités devenues le réceptacle obligé de groupes sociaux en voie d’intégration, mais qui recèlent en leur sein des foyers de communautarismes et des réseaux de délinquance qui freinent, voire compromettent gravement, un processus d’assimilation qui, trois ou quatre décennies auparavant, paraissait pourtant en bonne voie.

A l’époque où l’Anru et les quartiers prioritaires de la Ville prenaient le relais, sur une grande échelle et avec beaucoup plus de moyens, des « zones franches urbaines », le développement du logement intermédiaire a été confié à une émanation d’Action Logement, l’ « Association Foncière Logement » chargée de produire, dans les QPV ou dans leur proximité immédiate, plusieurs dizaines de milliers de logements. Le malheur voulut que les objectifs de production quantitatifs fixés à l’AFL, l’extrême légèreté de la structure chargée de son pilotage opérationnel, ainsi qu’une pratique très décentralisée de la délégation de maîtrise d’ouvrage ont entrainé, d’une part, l’abandon de l’objectif initial en faveur d’opérations réalisées en-dehors des zones prioritaires et, d’autre part, une inflation des coûts, notamment fonciers mais aussi de construction, qui ont fini par lasser nombre d’élus locaux, outre que ces surcoûts de l’ordre de 30 % compliquèrent sérieusement le rythme d’amortissement des actifs de l’AFL. Il s’ensuivit un regard fort critique de l’IGF sur cet instrument qui aboutit à retarder d’une dizaine d’années l’avènement du logement intermédiaire en tant que produit institutionnel qui ne donna sa pleine mesure qu’à partir de 2016.

Ce n’est pas que certains élus n’en aient pas perçu tout l’intérêt : c’est ainsi qu’à Meaux, Jean-François Copé transforma drastiquement l’ensemble de la Grosse Pierre, dans le quartier Beauval Dunant, en éradiquant les tours tripodes pour les remplacer par des maisons de ville en bandes, entrelaçant de petits immeubles collectifs.

Par ailleurs, à Sarcelles, François Pupponi s’est efforcé de promouvoir le logement intermédiaire pour transformer les Lochères et notamment le secteur de la gare.

Ces initiatives visionnaires, trop peu nombreuses, venaient, pour une fois, trop tôt, alors que le logement social était censé suffire à régler tous les problèmes ; c’était, bien sûr, sans compter avec les effets pervers de la loi Dalo, qui allait conduire à reconcentrer des populations fragiles dans les QPV.

Ces quelques rappels n’ont pour objet ni d’incriminer qui que ce soit dans l’enchaînement de dérives successives, ni de se désoler devant les pots cassés et le lait renversé, mais d’expliquer pourquoi la diversification du peuplement des quartiers prioritaires est devenue plus nécessaire et plus coûteuse que jamais. Ajoutons qu’au moment où la production de logements s’effondre, c’est sur ces territoires qu’existe encore un potentiel de constructibilité qui échappe aux fourches caudines de la Zan ; encore faudrait-il éviter d’aggraver les problèmes en ajoutant, sur des cités sociales, une nouvelle couche de logements sociaux. Tel était, d’ailleurs, le constat formulé par le Président de la République dans son discours des Mureaux, le 2 octobre 2020, suivi d’effets modestes sur ce point, puisque le plan ministériel consécutif se bornait à privilégier, en dépit de tout, le logement social : avec quels effets ?

Le problème, désormais accentué, est celui de l’attractivité et, d’abord, de la qualité des établissements d’enseignement et de la sécurité des transports collectifs. Mais en dépit des efforts en ce sens des services publics en charge de ces volets essentiels, aucun progrès durable ne sera enregistré qui ne repose sur la diversification du peuplement. Ainsi, « le serpent se mord la queue ! ».

Il s’agit donc, au moins pour éviter une aggravation des phénomènes de ghettoïsation, de réaliser des programmes de logements intermédiaires, en accession et en location, dans des îlots « gentrifiables », en QPV ou en lisière des QPV, en réservant leur occupation à des populations éligibles au logement intermédiaire, à l’exclusion de celles relevant du logement social ; il s’agit donc d’engager une stratégie de diversification « en grappes », telle qu’elle a porté des fruits convaincants, par exemple à Manchester. La seule manière de convaincre des candidats, qu’ils soient locataires ou accédants, consiste à pratiquer, à leur profit, des loyers du niveau du PLAI ou des prix de vente réduits de 50 %, avec obligation de conservation pendant 25 ans. Si un effort supplémentaire doit être consenti en faveur des QPV, fût-ce à travers un redéploiement des crédits de la politique de la Ville, c’est à un tel dispositif que des moyens supplémentaires doivent être affectés. Faute de quoi, la prochaine crise suscitera les mêmes réponses insatisfaisantes, jusqu’à ce que les débordements croissants que nous avons connus ne revêtent une ampleur non maîtrisable par les moyens courants ».

André Yché

André Yché : "la zone aveugle de l'Anru"