Nous considérons généralement le monde qui nous entoure selon le prisme de nos intérêts et de nos passions, sans prendre la peine de choisir une focale qui permette d’acquérir une vue d’ensemble. Et ainsi, nous nous ôtons nous-mêmes nos meilleures chances de succès.
S’agissant par exemple d’écologie, les plus militants défendent une conception de la nature sacrée, frisant le panthéisme et ne touchant, dès lors, que des disciples du « New Age »…
Et pourtant, il serait fort simple d’élargir l’audience en rappelant que la sobriété dans l’emploi des facteurs de production, au premier rang desquels l’énergie, constitue un levier essentiel de productivité ; et que, par ailleurs, la réduction de la dépendance aux énergies fossiles est une condition substantielle de la souveraineté nationale.

Il est remarquable que cette tendance naturelle à la focalisation de l’esprit sur son objet de fixation se retrouve largement dans la définition des politiques publiques : ainsi, la plupart des dispositifs destinés à favoriser la requalification thermique des bâtiments ne prennent que marginalement en compte le fait qu’une rénovation thermique n’est qu’une composante d’une réhabilitation globale et, parfois, d’une stratégie portant sur le réexamen de l’empreinte immobilière du maître d’ouvrage, qu’il s’agisse d’un particulier, d’une entreprise ou d’une administration.
Dans ce dernier cas, le « décret tertiaire » fixe des objectifs à atteindre à l’horizon 2030 et une enveloppe de 4 milliards d’euros est affectée au traitement des bâtiments publics, qu’ils appartiennent à l’Etat ou aux collectivités territoriales. Mais, le passage à l’acte des décideurs n’est pas acquis pour autant car si les experts thermiques peuvent garantir des économies en volume de 30 à 50 % des consommations actuelles, l’impact financier est beaucoup moins facile à modéliser du fait des hausses considérables du prix de l’énergie survenues au cours des dernières années. Or, c’est bien l’économie budgétaire escomptée par le gestionnaire qui conditionne la couverture des investissements nécessaires, y compris dans l’hypothèse d’un recours massif aux prêts incitatifs les plus avantageux.

Cependant, un changement imprévu est survenu depuis 2020 qui rebat drastiquement les cartes : le télétravail est devenu la norme dans toutes les organisations tertiaires, publiques ou privées, au rythme de deux, trois journées par semaine, parfois davantage. Autant les prémices d’un réajustement sont déjà perceptibles dans le secteur privé, autant le mouvement paraît irréversible dans le secteur public. Dès lors, devant les immeubles de bureaux administratifs vacants, cinq ou six jours par semaine (après décompte des ARTT, des congés annuels, des congés de maladie et de maternité), la question qui est posée ne se réduit pas à la performance thermique des bâtiments, mais porte sur l’optimisation des ressources immobilières qui devront être adaptées à la nouvelle relation au travail (flex-office, bureaux partagés…). En synthèse, la réduction des surfaces mobilisées devrait faciliter le financement des travaux d’amélioration thermique. Il en résulte qu’il ne s’agit plus seulement d’élaborer un projet immobilier, mais un projet de service incluant une dimension RH essentielle autour des thèmes de la conduite de projet, de fertilisation croisée et de construction d’une identité de service, mais aussi une dimension de space-planning et, finalement, de redéfinition urbanistique alimentée par la transformation d’usage des immeubles existants.

Il en résulte que les nouveaux marchés de la rénovation thermique ne s’ouvriront à grande échelle qu’à des opérateurs ou à des groupements d’opérateurs associant diverses compétences susceptibles d’être mobilisées dans des projets d’ensemble : c’est à ce prix qu’une industrie de la transformation pourra émerger.
Des problématiques similaires s’imposeront, dans des contextes plus évolutifs, dans l’immobilier d’entreprise, par exemple. Symétriquement, l’habitat devra évoluer pour mieux prendre en compte les mutations de la relation entre le salarié et le lieu de travail : transformation d’immeubles de bureaux obsolètes en hôtels de passage pour des cadres en mobilité, espaces de coworking associés…

S’agissant de l’habitat locatif privé porté par des SCI ou des SCPI, un enjeu analogue se fera jour, impliquant la liquidation d’une partie des actifs par mise en accession privée, éventuellement au profit de sociétaires revenus des illusions de la « pierre papier ».
En toute hypothèse, un immense champ de développement est ouvert aux professionnels de la rénovation thermique, depuis la remise aux normes des copropriétés qui passera, parfois, par un projet de densification, jusqu’à celle des grands ensembles tertiaires promis à une diversification d’usages. C’est ce que les plus actifs, les plus innovants ont compris, à l’image d’Enerlis engagé dans l’édification d’un réseau de partenaires destiné à répondre à la complexité des besoins et des demandes, fussent-elles non explicitées dans leurs conséquences stratégiques.

C’est ainsi que John Davidson Rockefeller, à partir d’une startup de courtage, « remonte » la filière pour investir dans la raffinerie, puis dans l’extraction du pétrole pour donner naissance à la Standard Oil of Ohio. Il n’est guère de grande entreprise industrielle qui ne repose sur ce type de synergie, à partir d’un axiome irréfragable : la meilleure façon de se positionner sur un marché, c’est de le créer !

André Yché : "performance thermique des bâtiments, le moment de l’“entreprise élargie”"