« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace », Georges Jacques Danton.

Depuis les années soixante, les politiques publiques territorialisées par nature ont connu deux mouvements étroitement corrélés de centralisation et de technicisation, sous l’influence de « sachants » (urbanistes, ingénieurs, gériatres…) qui, à partir de positions dogmatiques, ont imposé une multitude de normes et de préceptes dont le coût s’avère potentiellement vertigineux.

Ainsi, en fut-il du logement dit social qui, par le biais de textes adoptés pour le bien commun de l’humanité (SRU, Dalo), s’est coupé de sa vocation universaliste définie par ses inventeurs issus du patronat chrétien.

De même, à partir de l’idée que le vieillissement engendrait inévitablement un nombre croissant de handicaps chez chacun d’entre nous, l’accueil en établissement médicalisé (Ehpad…) fort onéreux s’est généralisé à une population physiquement autonome, mais en voie de désocialisation du fait des contraintes produites par la société contemporaine.

D’abord, traitons du logement social, réservé aux plus nécessiteux cumulant les difficultés de l’insertion économique et de l’assimilation culturelle, à l’opposé du modèle illustré par le Familistère de Guise, dans lequel, du commis au directeur, tous partageaient la même culture d’entreprise, à l’instar des résidences réservées aux militaires unis dans le même code de savoir-être, du Caporal au Général.

La focalisation de l’offre sociale sur les publics en grande difficulté a ouvert une voie royale pour le logement intermédiaire qui est, désormais, à l’honneur dans tous les programmes de logement et qui ne fait que reprendre l’offre institutionnelle des grands assureurs et réseaux bancaires, objet des « ventes à la découpe » des années 1990. Les élus locaux, aussi bien que les investisseurs ont redécouvert le rôle stabilisateur des classes moyennes.

En matière d’accueil des personnes âgées, devant l’ampleur prévisible des besoins à l’orée des années soixante, la priorité des pouvoirs publics, formalisée dans le rapport Laroque de 1963, repose clairement sur le maintien à domicile par le biais d’un ensemble coordonné d’aides et de services organisés à cette fin. Il reprend, ainsi, un principe énoncé dès la Révolution par le Comité de mendicité et repris dans une loi du 14 juillet 1905, puis dans le Code de la famille et de l’aide sociale.

Dans la suite du rapport Laroque, la mission confiée à Théo Braun en 1986 met en évidence l’explosion des besoins et confère à l’accueil familial un rôle essentiel dans la prise en charge de la population vieillissante et socialement dépendante.

Deux mouvements d’opinion vont contrarier une évolution indispensable vers la professionnalisation de l’accueil familial : les travaux de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales, ndlr) tendent à discréditer une pratique peu contrôlée et passablement disparate ; et, surtout, la doctrine dominante de la gériatrie considère que la dégradation psychologique et physique des individus est une tendance irrépressible et que l’admission en établissement spécialisé (Ehpad) pour raison purement sociale est justifiée par le processus inexorable de sénescence qui s’ensuivra. Ainsi, l’Ehpad acquiert ses lettres de noblesse en offrant des conditions d’accueil théoriquement normées et, simultanément, un statut de salarié jugé protecteur pour le personnel accueillant.

En 2005, un dernier coup tend à marginaliser l’accueil familial avec le « plan Borloo » destiné tout autant à régler le problème du vieillissement et de la dépendance et celui de l’emploi au moment où explosent les statistiques du chômage : il s’agit de développer massivement le maintien à domicile, via les services à la personne qui connaissent un succès spectaculaire dans la mesure où – et on reconnaît la marque du maître, toujours sensible (presque trop), au jeu sous-estimé des infrastructures sociales, bien qu’elles finissent par se périmer, comme tout le reste – ils contribuent à amortir le problème du sous-emploi de demandeurs peu qualifiés, en zone rurale.

Tout ceci est bien beau, mais en définitive, le service à domicile ne règle pas les problèmes de maintenance des bâtiments et à l’opposé, les Ehpad accueillent, pour un coût majoré par rapport à celui de l’hébergement familial, une population dont la moitié, admise pour des raisons sociologiques, n’a rien à faire dans un établissement médicalisé.

Le « chaînon manquant » (Missing Link, Cf. Jean-Baptiste Lamarck) de ce dispositif c’est, bien sûr, l’accueil familial, désormais encadré par des lois de 1989 et 2002 qui édictent l’obligation d’agrément des accueillants par l’autorité départementale tutélaire. Comme souvent en France, le cadre normatif précède le champ opérationnel dont l’enjeu est, désormais, d’industrialiser l’offre.

C’est ce à quoi diverses initiatives s’efforcent d’aboutir, à partir du concept de « Papyloft » élaboré au tout début du siècle, réintégré et enrichi dans le cadre de l’accueil familial désormais institutionnalisé à travers l’outil de financement mis en place au niveau de chaque département : l’Apa (Allocation personnalisée d’autonomie) destinée à alléger la charge résiduelle pesant sur les « accueillis ».

Comment industrialiser l’offre, sans tomber dans le travers des Ehpad, menacés de « massification » ?

Quelques démarches apportent des réponses, au premier rang desquelles celle du Groupe MonSenior, réinventeur des « Béguinages de France « , qui construit des « hameaux » destinés à loger des « accueillants » (des auto-entrepreneurs agréés par le département) et des « accueillis » (seuls, ou en couple, bénéficiaires de l’Apa) pour un coût résiduel inférieur de 20 % à celui d’un accueil en Ehpad ; l’équation : un accueillant pour trois accueillis dans un immeuble « sur-mesure » réalisé en « filière bois », au sein d’une résidence de trois bâtiments indépendants.

Tous les enseignements du passé sont pris en compte dans ce projet, destiné aux 50 % de résidants n’ayant rien à faire en Ehpad. La recette, le coup de génie d’un promoteur expérimenté : un habitat optimisé qui facilite la cohabitation des parties prenantes, pour un coût modéré ; mais aussi, une équipe qui, attachée aux ressorts de l’économie libérale, a bien compris que celle-ci ne pouvait se développer en dehors d’un cadre éthique du « non profit » d’exploitation et que l’utilité sociale demeurait le levier majeur de la réussite.

André Yché

André Yché : "politiques publiques, la redécouverte des fondamentaux (logement et secteur médico-social)"