Il nous faut rester humbles en veillant à ne point se résigner au fait que notre Société s’est habituée au drame du mal-logement au lieu de se laisser habiter par l’urgence d’éradiquer ce malheur.

Le contexte économique est désormais plus difficile attendu la chute abyssale des mises en chantier, l’augmentation du coût du logement aggravé par la hausse des taux d’intérêt. Le marché insuffisamment régulé cause bien des iniquités qui, dans les grandes métropoles, affectent désormais les classes moyennes condamnées à se loger… plus loin.

Nous mesurons les contraintes et, plus encore, la nécessité de les traverser si nous ne voulons pas que les plus fragiles soient la variable d’ajustement des équilibres financiers.

Le refus de la fragmentation sociale appelle d’inévitables corrections ; l’une d’elles concerne le foncier qui se présente comme une rente relevant pour partie des investissements de l’Etat et des collectivités locales (équipements publics, transports, activités culturelles…).

Je n’ose rappeler que des milliers de logements sont vacants. Taisez-vous, m’ont dit certains (en des termes plus vifs), chacun est libre de faire ce qu’il veut de son bien. Certes, mais cette approche n’est-elle pas réductrice et destructrice à l’égard de ceux qui n’ont rien. Le bien commun ne se construit que là où justice et cœur s’embrassent.

Prendre en compte les ombres, ce n’est pas pour autant mettre sous le boisseau ce qui est réalisé. Aussi est-il juste d’exprimer une logique reconnaissance à tous ceux, fort nombreux, qui n’ont cessé de tisser les liens, via ces 10 000 logements à vocation d’insertion et/ou d’intégration dans des quartiers socialement équilibrés.

Nous sommes en chemin. Le sommet est loin ; nous ne le déserterons pas, accompagnés par les actionnaires de nos foncières et tous ceux qui voudront bien les rejoindre pour s’inquiéter de ces personnes ou familles qui n’ont pas ce minimum vital que représente un toit.

Nous ne pouvons ni ne voulons oublier les institutionnels de l’épargne salariale solidaire dont la mobilisation est la pierre d’angle de cette forme d’économie. Sans eux rien n’aurait été possible. Il y a 40 ans, cette économie semblait une utopie émanant de doux rêveurs désirant mener un combat pour introduire la mixité sociale sans laquelle il n’y a pas d’équilibre au sein des territoires.

Qui peut contester que la concentration des mêmes se présente comme des frontières ; elles ne disent pas leur nom ou craignent que ne soit prononcée cette lèpre qu’est la ghettoïsation. Si pour certains, ce mot est excessif, qui peut cependant contester qu’il y a des territoires perdus pour la République ?

Ce mot mixité doit rimer avec fraternité, une mystique à habiter pour que ne meurent pas les valeurs républicaines qui nous réunissent. Il s’agit d’un combat permanent pour désarmer les rigidités et les peurs de ceux qui, différents, sont discriminés, regardés comme étranges.

La mixité sociale a progressé, ne l’évoque-t-on pas dans l’actualité avec notamment l’école ? Cette ouverture de l’esprit procède de l’engagement de personnes, les accompagnants, qui, dans l’ombre, ont mené et mènent une formidable mission : réveiller les talents de ceux qui pensaient n’en avoir point pour n’avoir pas de toit, ou être assignés aux lieux du ban.

Ces familles et personnes isolées ayant eu accès à ces logements très sociaux ont montré pour beaucoup une capacité à s’inscrire dans un champ sociétal qui n’était pas le leur. Il s’en est suivi un changement des regards. Que de riverains marquant au départ une réserve, voire une opposition à leur venue, ont pris conscience qu’il s’agissait d’hommes et des femmes comme eux, avec une grande différence, celle de ne pas bénéficier de la même chance. L’accueil qui leur a été bien souvent réservé n’enlevait rien à personne, mais a donné à tous la lumière d’un horizon plus clément, plus humain.

Ces 10 000 logements ont donné naissance à des Petits Princes, saisissant que, dans l’apprivoisement, des liens pouvaient naître, suscitant de nouveaux possibles. Ils sont immenses.

Et si ce 10 000ème logement se présentait comme un appel à ouvrir de plus grands chantiers pour bâtir des liens.

Bernard Devert
Mai 2023

Bernard Devert : "10 000 logements, un essai à transformer pour Habitat et Humanisme"…