Logement

Bernard Devert : "la rentrée"…

06 Sep 2023 - 12h50

« La rentrée est là. Sera-t-elle un temps d’ouverture dans le continuum de ce qui a pu être réfléchi, entrevu au cours des vacances, du moins pour ceux qui ont pu se laisser habiter par des heures libératrices, traversées par la joie des découvertes, ou simplement la convivialité resserrant les liens familiaux ou amicaux ? » : c’est ainsi que le président fondateur d’Habitat et Humanisme ouvre son premier point de vue de rentrée…

Il est coutume de dire que la rentrée est un moment où l’on prend des décisions avec la ferme volonté de les tenir. Il s’agit bien de faire du neuf. Tout est ouvert, telles les pages des cahiers encore vierges laissant sourdre un espoir, parfois une inquiétude : qu’allons-nous écrire ? Le vertige des feuilles blanches !

Le vertige surgit là où l’on prend de la hauteur ; la rentrée doit bien s’inscrire dans cette perspective où refusant de répéter des rengaines, nous nous laisserions habiter par ce désir de participer au ré-enchantement de la Société. Très concrètement :  remplaçons la crispation et le gémissement de la cohésion sociale en souffrance par la recherche d’une fraternité authentiquement actée.

Qui n’entend pas, depuis la crise sanitaire, ces soupirs suivis de ces mots : je suis épuisé ? Ne nous serions-nous pas éloignés de la source qui donne fraîcheur pour refaire nos forces ?

Avec la rentrée, nous pourrions reprendre les mots du Petit Prince : « tout est prêt: la poulie, le seau et la corde… Il rit, toucha la corde, fit jouer la poulie. Et la poulie gémit comme gémit une vieille girouette quand le vent a longtemps dormi. Tu entends, dit émerveillé le Petit Prince, nous réveillons ce puits et il chante ».

Le puits est intérieur. Saint Exupéry, dans Pilote de guerre, dit : « quiconque porte dans le cœur une cathédrale à bâtir est déjà vainqueur. La victoire est fruit de l’amour. L’intelligence ne vaut qu’au service de l’amour ».

Plaçons la rentrée dans cette lumière diaphane. Loin d’éblouir, elle permet de s’orienter vers des cimes qui, seules, nous éloignent de ces accablements et épuisements mortifères.

La source, c’est l’autre, les autres. La différence est toujours une richesse. La vraie qui met en distance de l’écoute assommante de ces « moi, je », pour conférer une possible écoute à l’égard de ceux qui, dans cette rentrée, se demandent avec inquiétude : comment vais-je m’en sortir ?

Je pense à cet étudiant dont les parents habitent Lille qui, appelé à suivre des études à Paris, n’est pas parvenu à trouver un hébergement – et ce n’est pas faute de l’avoir cherché ‑ au point de n’avoir d’autres recours que de retourner chaque jour chez les siens. Ou encore cette famille accueillie dans un immeuble précaire que nous n’arrivons pas à loger décemment alors que le chef de famille a un revenu égal au Smic dans le cadre d’un CDI ; leurs trois enfants, de 9 à 14 ans, suivent une belle scolarité, mais les conditions de vie sont toutes réunies pour briser leur avenir.

Les exemples sont légion ; je veux garder l’espoir qu’un « autrement » est possible. Il ne s’agit pas de le demander, mais de le bâtir. L’économie solidaire en est un véritable levier.

Faisons connaître cette économie et partageons-la pour déconstruire cet entre soi qui nécrose générosité et fraternité.

Ensemble, essayons de vivre la rentrée pour qu’elle soit pour tous un chemin d’avenir. Une utopie. Non, la volonté de ne pas se laisser envahir par ces désordres éthiques qui s’immiscent subrepticement dans les cœurs et les esprits, asséchant la source au point de se dire à quoi bon. Alors, les replis sur soi deviennent assurément le lit de nos épuisements.

Pour remonter vers la source, ne faudrait-il pas prendre le risque d’aller à contre-courant. Folie, mais sommes-nous si sûrs d’être des sages pour consentir à des situations que nous appelons « marcher sur la tête » dans un éclair de lucidité.

Belle rentrée.

Bernard Devert
Septembre 2023

 

Valérie Garnier