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CSRD : au-delà des reculs politiques, ne pas renoncer à une vision de société stratégique

08 Juil 2025 - 12h45

La Directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD) vise à améliorer la transparence et la responsabilité des entreprises en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). Aurélie Rebaudo-Zulberty, cofondatrice du cabinet N’CO Conseil, livre ce point de vue sur cet outil essentiel pour promouvoir la durabilité dans le secteur privé…

Alors que la directive CSRD n’est encore qu’en déploiement, son avenir semble déjà plus que fragilisé. En toile de fond, un climat politique incertain où des responsables publics – en France comme en Europe – appellent à un allègement massif du dispositif, à son report ou à sa suppression en tout ou partie. Les raisons réelle ou supposées : sa complexité, son cadre contraignant, son coût. Ce débat, largement relayé, installe une confusion préjudiciable dans le monde économique et pour l’opinion publique en donnant à penser que transformation durable et performance économique seraient incompatibles.
Pourtant, la CSRD n’est pas un carcan technocratique. C’est un outil de pilotage stratégique, qui structure la réflexion à long terme des entreprises sur ses risques, ses impacts et ses opportunités, et donne de la cohérence à l’action. En sortir reviendrait à dire que la durabilité n’est plus un sujet d’avenir et à s’isoler d’un écosystème d’acteurs – financeurs, investisseurs, clients – qui, eux, maintiennent le cap.

Une pression politique déconnectée des attentes du terrain

Le débat actuel repose sur un paradoxe : les citoyens, eux, sont majoritairement favorables à davantage de régulation et de transparence. Un récent sondage, mené par OpinionWay pour Reclaim Finance et le Forum citoyen pour la justice économique (FCJE), révèle que 82 % des Français souhaitent que les multinationales soient encadrées par des règles sur l’écologie et les droits humains. Du côté des jeunes générations, l’étude menée par WeAreEurope et HEC Paris montre que leur confiance envers les entreprises repose désormais largement sur leur capacité à intégrer des enjeux sociaux et environnementaux dans leur stratégie. Autrement dit, ce n’est pas la réglementation qui fragilise la compétitivité, c’est son affaiblissement.

Même sans obligation légale : la CSRD reste une boussole utile

La possible révision du champ d’application ne doit pas laisser croire aux PME et aux ETI qu’elles peuvent tout simplement « zapper » les enjeux de durabilité. Même si elles venaient à échapper à l’obligation formelle, les exigences de transparence et de gestion des risques ne disparaîtront pas pour autant. Les banques, les investisseurs, les assureurs s’appuient déjà sur les indicateurs issus de la directive et sur des référentiels partagés que constituent la taxonomie, les trajectoires CRREM (pour les entreprises de l’immobilier), les démarches SBTi, les analyses de résilience climatique et les plans d’adaptation aux risques physiques.
Ne pas faire cet exercice, c’est se priver d’un langage commun avec ses financeurs. C’est aussi rater l’occasion de renforcer son projet d’entreprise et sa vision stratégique de son devenir.

L’immobilier, un secteur structurellement concerné

Prenons un peu de recul. L’immobilier n’est pas seulement un secteur impactant. Il est aussi un fabricant de société. Il façonne nos usages, nos rythmes de vie, notre rapport à l’espace. Et à ce titre, il porte une responsabilité majeure dans la transition environnementale et sociale vers un avenir plus durable.

La CSRD, en imposant un exercice de matérialité, pousse les acteurs à se poser les bonnes questions :

  • quel modèle urbain voulons-nous ? L’opposition entre densité et confort est dépassée. Il ne s’agit plus d’empiler des mètres carrés, mais de concevoir des formes urbaines désirables, qui articulent usages partagés, mixité sociale, lumière naturelle, qualité de l’air intérieur, mobilité douce et sobriété ;
  • quels liens souhaitons-nous créer ? Face à l’isolement ou à l’individualisme, comment imaginer des lieux qui favorisent l’interaction, l’appropriation, l’acceptabilité sociale et le partage ? ;
  • quelle(s) valeur(s) voulons-nous construire ? Le bâtiment n’est pas qu’un objet technique ou un actif financier. Il est un geste architectural, un marqueur culturel, un acte porteur de sens, capable d’inspirer, de rassembler, de refléter une vision du monde et une perspective apaisée de l’avenir.

Dans cette perspective, les entreprises immobilières doivent ouvrir le dialogue au-delà des cercles traditionnels. Associations, collectivités, chercheurs, usagers… Tous ont leur place dans une réflexion stratégique élargie, où les enjeux environnementaux rencontrent les attentes sociales pour dessiner une urbanité qui donne envie durablement.

Il ne s’agit pas de faire plus. Il s’agit de faire mieux…

En toute chose réside une opportunité. Celle que génère la remise en question de la CSRD est de fournir un cadre méthodologique que les entreprises qui ne seront plus soumises pourront s’approprier pour progresser sur le chemin de la durabilité et de la transparence. Ce faisant, il s’agira de sélectionner les indicateurs les plus pertinents, de structurer un dialogue stratégique avec les parties prenantes, pour prendre des décisions éclairées. Ces entreprises pourront adopter une démarche progressive, adaptée, contextualisée. Mais l’engagement dans cette réflexion reste nécessaire. Si les modalités d’application de la CSRD peuvent être critiquées, son intention ne doit pas être abandonnée.

Ne renonçons pas collectivement à ce qui pourrait, à terme, nous permettre de construire un tissu économique plus robuste, plus inspirant et plus aligné avec les enjeux du siècle… à ce qui pourra nous permettre de construire des modèles économiques plus performants et durables, et un tissu urbain qui prendra soin de tous pour une valeur renforcée.

Aurélie Rebaudo-Zulberty
cofondatrice
cabinet N’CO Conseil

Valérie Garnier