« Il est tout à fait naturel qu’on ressente la nostalgie de ce qui était l’Empire, tout comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ?! Il n’y a pas de politique qui vaille en-dehors des réalités ».

Charles de Gaulle – 14.06.1960

La France se trouve confrontée, en ce début du 21ème siècle, à une double mutation qui a pour effet de brouiller les repères anciens qui fondaient l’ordre politique et social : en tant que Nation, elle s’efforce de faire émerger une Europe-puissance susceptible de relayer sa vocation universelle, contre le gré de la plupart de ses partenaires, de telle sorte que son positionnement historique, en Afrique notamment, souffre indubitablement de cette ambiguïté : elle assume de plus en plus mal un rôle tutélaire qu’elle ne peut, ni ne veut, continuer à supporter…

Par ailleurs, le modèle socio-économique du pays, après plusieurs décennies de mondialisation, ne saurait s’exonérer de la contrainte induite de transformation du mécanisme de renouvellement des élites, nécessairement beaucoup plus diversifiées, culturellement et ethniquement, que par le passé : la préservation d’une dynamique collective est à ce prix et le discours public, par exemple sur le passé colonial et sur l’esclavage, y contribue puissamment. Dans ce processus véritablement révolutionnaire, la redistribution des patrimoines joue un rôle majeur, de telle sorte que divers arbitrages politiques (IFI, évolution de la fiscalité foncière, taxe d’habitation) se conjuguent à des ajustements structurels des marchés (inflation, taux d’intérêt) pour infléchir les modalités traditionnelles d’accumulation patrimoniale au détriment de la petite bourgeoisie républicaine, historiquement bénéficiaire des garanties de transmission intergénérationnelle des situations acquises, telles que Pierre Bourdieu, notamment, s’est efforcé de les mettre en évidence.

Les choix « méta-politiques » opérés à cet égard depuis les années quatre-vingt reposent sur l’hypothèse implicite que la dimension patrimoniale de l’ordre politique et social relève exclusivement de la sphère socio-économique, par essence réformable en fonction de l’environnement historique : il en résulte que le rythme d’adaptation est donc affaire de volonté. Il est permis de mettre en doute cette assertion dans la mesure où le principe même de stabilité patrimoniale revêt, au moins partiellement, une dimension anthropologique qui implique que toute évolution s’inscrit dans la durée, de telle sorte qu’un ajustement trop violent est susceptible d’engendrer une crise globale, telle que la connaît aujourd’hui le secteur du logement : crise d’offre, conjuguée à une crise de la demande.

La question de fond, aujourd’hui, consiste donc, après avoir entériné l’épuisement d’un modèle révolu, à inventer un projet alternatif facilitant la fluidité des patrimoines sans dérive confiscatoire, conciliant la maîtrise des finances publiques et la sobriété en matière de facteurs de production : foncier, énergie, matériaux… tout en restaurant une meilleure prévisibilité des perspectives de valorisation, c’est-à-dire de confiance des classes moyennes.

Les voies de cette refondation sont évidentes : la territorialisation d’une politique publique que l’hégémonie technologique a sectorisée ; l’inclusion du logement dans de grandes politiques prioritaires (la modernisation de la fonction publique, le peuplement des quartiers prioritaires de la Ville) ; l’émergence d’une économie de transformation (centres commerciaux, bureaux) au service d’un nouvel urbanisme, incluant notamment un polycentrisme métropolitain.

« Qui n’a pas vécu dans les années voisines de 1780 n’a pas connu le plaisir de vivre ».

Talleyrand – Lettre à Guizot

"Logement : les origines socio-politiques de la crise" par André Yché