C’est un travers bien français : nous peinons à nous projeter dans l’avenir sans solliciter en permanence les recettes du passé. Ce qui arrive actuellement à l’action collective de rénovation énergétique des bâtiments en constitue une illustration topique : il a suffi, en effet, qu’on réduise la hausse d’une subvention publique (MaPrimeRenov’), ajuste l’instrument de mesure de la performance énergétique (le DPE) et interroge la pertinence du système de contrôle des professionnels de nature à assurer l’éco-conditionnalité des aides (le RGE), pour que s’installe une petite musique selon laquelle le gouvernement délaisserait la politique publique de rénovation énergétique des bâtiment…

Or, la vraie question est celle-ci : le moment n’est-il pas bienvenu, quinze ans après le lancement de cette politique, et alors que le modèle d’hier a sans doute épuisé ses meilleurs effets, de l’infléchir sérieusement ?

D’abord, un mot pour saluer le chemin parcouru : ce n’est pas une petite action collective que d’avoir réussi à embarquer une société dans une démarche, celle de la rénovation des bâtiments, qui n’avait alors rien d’évident pour chacun de nous : rappelons-nous le schéma passé qui consistait, soit à donner un simple coup de propre au local loué ou acquis, soit à le démolir pour le reconstruire. Pas négligeable non plus, dans un pays où la versatilité législative est un sport national, d’avoir maintenu depuis plus de quinze ans la colonne vertébrale de l’action, inventée en 2007 par le Grenelle de l’environnement, sanctuarisée en 2009 par la représentation nationale, et tenue par les majorités qui se sont succédées depuis lors. Et sur le plan des progrès réalisés, une large part des logements sociaux a été rénovée, environ 100 000 chaque année, assurant un vrai reste-à-vivre aux locataires croulant autrefois sous les charges de chauffage ; les ménages les plus modestes mobilisent des aides à hauteur de plus de 80 % de la dépense de travaux ; le parc tertiaire privé et public s’est largement mis en mouvement ; les copropriétés connaissent un sursaut de travaux et, cerise sur le gâteau, la société française a su, en quelques semaines courant 2022, réduire ses consommations d’énergie de l’ordre de 10 à 12 %, et l’effort de sobriété ne faiblit pas. Bien sûr, tout n’est pas parfait : nous sommes en retard sur les projections 2050 et la qualité des rénovations n’est pas partout constante. Il n’empêche, le mouvement est désormais ancré dans nos pratiques et il ne reste qu’à changer de braquet ; le fera-t-on cependant avec les mêmes outils ? Je ne le pense pas et quatre évolutions majeures me paraissent s’imposer.

– Le champ d’action : l’avenir ne peut se réduire aux économies d’énergie. Cela a constitué une formidable entrée en matière, permis une pédagogie de l’action très efficace et assuré des résultats significatifs ; dorénavant, le champ d’action doit s’ouvrir, bien entendu à la transition environnementale (le bas-carbone, la biodiversité, l’économie circulaire…), mais aussi à la transition démographique (le vieillissement, la santé…) et aux nouveaux usages : c’est un triptyque rénovation-sobriété-adaptation qui doit guider désormais notre politique publique.

– Le périmètre d’action : si l’on veut accélérer, on doit ouvrir la maille d’intervention, cesser de raisonner logement ou bâtiment et organiser les actions au plan de la parcelle, de l’îlot, du lotissement, du quartier ou de la centralité. L’avenir est à la mobilisation territoriale, à l’initiative du maire ou du président de l’intercommunalité, qui embarque des rénovations marquées par l’unité de lieu, de temps et d’action, condition selon Boileau* de l’efficacité recherchée. Et quelle plus puissante occasion que le Plan de rénovation des écoles, lancé à grand frais depuis le début d’année : c’est l’occasion de recentrer la vie de la commune autour de son école, d’ouvrir celle-ci à de nouveaux usages, notamment associatifs, et d’embarquer sous l’influence des écoliers la rénovation des logements alentour !

– Le financement : la limitation annoncée à hauteur de 600 millions d’euros de la hausse du budget annuel de MaPrimeRenov, qui n’a rien d’un drame national compte tenu des difficultés extra-financières que connaissent les rénovations globales, doit nous interpeller. Le moment n’est-il pas venu de concentrer les aides publiques sur les plus fragiles et modestes d’entre nous et de faciliter l’accès au financement bancaire de la rénovation, alors que les grands réseaux mutualistes développent des formules de financement qu’il faut encore ajuster aux besoins : prêt collectif, prêt à taux zéro ou bonifié, prêt remboursable in fine, prêt avance rénovation, prêt assis sur un tiers-investissement… Et au-delà de ces financements innovants, nous avons à renforcer ensemble une ingénierie du financement qui allège l’instruction des prêts et à déployer des garanties de performance qui sécurisent le prêteur.

– La performance : voilà certainement la voie de progrès qui doit mobiliser nos énergies et dont la bonne fin signera probablement un jour la fin du DPE et de la certification RGE. L’objectif est clair : garantir aux maîtres d’ouvrage la performance des travaux et services proposés, par une mesure réelle de la qualité des livrables et l’assurance du résultat contractuel. Le DPE a été inventé en 2006 comme un simple outil d’information et de sensibilisation ; son opposabilité décidée avec audace en 2019, à effet 2021, a exigé – et exigera encore – l’ajustement de l’outil à sa nouvelle mission d’accompagnement des politiques publiques et, corrélativement, l’accroissement des prérequis de formation des diagnostiqueurs : l’épisode récent d’ajustement de l’outil en fonction de la taille des logements témoigne ainsi de la poursuite des efforts d’adaptation du diagnostic, menés depuis plus de deux ans au gré d’avancées successives et de quelques tâtonnements inévitables, et non pas de la volonté de réduire le nombre des logements énergivores. Mais, quelle que soit la qualité de la concertation qui guide ces évolutions, il est ambitieux de penser que l’on saura conférer une pleine fiabilité à cet outil créé à une autre fin. D’où la nécessité de penser à la suite, qui consiste en une mesure de la performance réelle, que prépare un ensemble d’acteurs professionnels sous l’égide du CSTB : la phase de modélisation s’achève, la phase expérimentale devrait s’ouvrir et l’on peut espérer, ainsi, qu’une solution sûre et stable de mesure de performance sera bientôt disponible. Il en va de même de la certification RGE. Si le principe d’éco-conditionnalité des aides doit être réaffirmé – pas un euro d’argent public confié à un professionnel non qualifié -, ses modalités d’application doivent être, elles aussi, ajustées au gré des évolutions de mesure et de technique. Le système RGE a été, en 2011, pensé par les fédérations du bâtiment ; entre 2021 et 2023, il a été enrichi par une expérimentation d’un RGE chantier par chantier à leur demande ; il doit, demain, s’adapter aux nouvelles exigences de la pratique, à l’initiative des fédérations : il faut, à tout le moins, en faciliter les modalités et réduire le coût d’accès, et l’idée d’un audit de fin de chantier pourrait avantageusement venir le remplacer.

En somme, c’est un changement d’échelle que j’appelle de mes vœux : une action plus large qu’énergétique pour répondre à nos besoins sanitaires, démographiques et environnementaux ; une géographie stimulante, à l’image des opérations programmées d’amélioration de l’habitat (Opah) portées par l’Agence nationale de l’habitat (Anah) ou des programmes Action cœur de ville ou Petites villes de demain ; des financements bancaires innovants qui permettent de concentrer l’aide publique sur les plus précaires ; enfin, un déploiement de garanties de performance, mesurée au réel, qui fasse entrer la politique publique de rénovation dans le 21ème siècle. Il est temps, quinze ans après le lancement réussi de la série, d’ouvrir la saison 2 !

Philippe Pelletier
Président du Plan Bâtiment Durable

* »Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli ».

Philippe Pelletier : "rénovation (énergétique) des bâtiments, vite la saison 2 !"