A l’instar de Michel Houellebecq, en plus optimiste, je pense que le monde d’après sera comme celui d’avant, mais en un peu mieux ! Le monde va continuer à changer sur sa lancée et en suivant des tendances profondes, invisibles, dévié à la marge par les évènements conjoncturels.

La crise du Covid, catalyseur et accélérateur d’évolutions préexistantes

Pour les métiers de l’intermédiation en immobilier résidentiel, je pense que la crise du Covid n’entraînera pas des changements majeurs qui n’auraient pas eu lieu en son absence. Elle va jouer le rôle de catalyseur et d’accélérateur d’évolutions préexistantes.

L’écosystème passionnant des proptechs aspire à façonner ce « monde d’après » en appelant à la « disruption » des agences immobilières et en pariant sur les « tendances » suivantes :

rationalisation et digitalisation des processus ;
obsolescence des agences « brick and mortar » ;
utilisation de la flexibilité des « nouveaux » travailleurs indépendants, qui ne coûtent rien à l’entreprise tant qu’ils n’ont pas de chiffre d’affaires ;
baisse des honoraires et des coûts.

Ces évolutions ont été embrassées par des organisations qui ont connu une forte croissance ces dernières années, comme les sociétés de mandataires indépendants (CapiFrance, I@d). Elles entraînent la multiplication actuelle de « néo-agences » low-cost qui reposent très exactement sur ces quatre tendances : pas d’agence, des honoraires très faibles et parfois fixes, des services réduits rendus par des indépendants qui ont souvent plusieurs activités professionnelles.

Les agences « traditionnelles » ont de beaux jours devant elles…

Ceci dit, je pense que les agences « traditionnelles » ont de beaux jours devant elles. Je ne crois pas que le métier ira massivement dans le sens de la dématérialisation et du low-cost, ce qui d’ailleurs ne serait pas souhaitable, pour le consommateur final comme pour la pérennité du modèle économique français pris dans son ensemble.

Diverses raisons à cela : d’abord, compte tenu de l’aspect local de la transaction immobilière (les visites, l’expertise quartier, la demande…), et de la culture française attachée aux commerces de proximité, les agences immobilières physiques resteront nécessaires et efficientes, en particulier dans les villes ou l’activité est très concentrée.

De plus, la complexité et les enjeux majeurs de la transaction immobilière pour les particuliers (vendre ou acheter un appartement ou une maison est la plupart du temps le plus important investissement d’une vie, en plus d’un choix humain déterminant), nécessitent des échanges, réunions, négociations, qui peuvent durer plusieurs mois et qui prennent place dans ce lieu social de proximité et neutre qu’est l’agence du quartier.

Quant aux « nouveaux » travailleurs indépendants, qui sont protéiformes dans les métiers de la transaction immobilière : agents mandataires, agents commerciaux en agence, vacataires payés à la prestation…, on peut s’interroger sur les bénéfices du modèle, pour le client comme pour les professionnels concernés.

Pour les professionnels, à l’instar des chauffeurs Uber, le modèle leur permet de trouver une activité proche de chez eux, qui ne demande pas de qualifications particulières, qui permet de gérer son temps librement… mais les limites arrivent vite pour l’écrasante majorité d’entre eux, avec des revenus très faibles, très irréguliers et aucune sécurité en cas de trou d’air dans l’activité (pendant le confinement, les négociateurs salariés ont bénéficié du chômage partiel quand les indépendants ont dû gérer une baisse brutale et irréversible de leurs revenus).

En matière de service client, sans préjuger du sérieux et du talent de chaque agent, le modèle des agents indépendants met en face des particuliers des personnes qui n’ont souvent aucune expérience, très peu de volant d’activité et un fonctionnement autarcique qui ne leur permettent pas d’acquérir une expertise suffisante. Sans compter que les clients n’ont pas conscience qu’ils contractent avec un indépendant sur lequel la marque n’a que très peu de moyen de contrôle, ce qui est déontologiquement contestable.

Par ailleurs, ces modèles ne sont pas « customer centric », mais « agent centric », ce que le « customer », délaissé dans ses intérêts, finit par payer d’une manière ou d’une autre.

Quant aux modèles low-cost, plusieurs constatations après l’engouement médiatique souvent généré : la plupart n’ont jamais été rentables et ont pivoté pour revenir à des prix qui se rapprochent des agents immobiliers « traditionnels » ; avec un marketing léché et quelques améliorations notables du parcours digital, ces solutions sont des PAP améliorés, qui n’apportent pas de solutions vraiment innovantes. Rien de nouveau sous le soleil, si ce n’est de tirer vers le bas une profession au profit unique et hypothétique de « startuppeurs » et investisseurs espérant « lever » et revendre vite.

L’industrie française a été décimée ces dernières décennies par les délocalisations dues au low-cost chinois (et ses externalités négatives : pollution, revenus faibles, système social inexistant…), on peut espérer que l’un des effets de la crise du Covid soit une prise de conscience de la nécessité de préserver des savoir-faire de qualité et locaux, afin d’avoir un tissu économique riche et des travailleurs qui gagnent correctement leur vie. Cela concerne aussi les services.

La profession va se consolider…

Faisons un peu de prospective : ma conviction est que plusieurs modèles vont co-exister, avec un poids relatif différent en fonction de la géographie et de la sociologie locale (grande ville/campagne, quartier populaire/quartier bourgeois…).

La profession va accélérer sa digitalisation, c’est une évidence et une nécessité absolue pour assurer aux consommateurs un service réactif et efficace.

De manière générale, la qualité des services rendus aux clients va s’améliorer, notamment grâce à des formations de meilleure qualité et plus fréquentes.

Ceux qui ne sauront pas s’adapter et améliorer la valeur ajoutée apportée risqueront de disparaître. La profession va se consolider, et c’est une bonne chose compte tenu de la très forte atomisation qui la caractérise aujourd’hui et qui se fait au détriment d’un accès fluide et qualitatif au marché pour les consommateurs.

J’en terminerai avec cette citation que j’adore, et qui s’applique à l’immobilier comme à tous les domaines, en particuliers aux ressources humaines : « when you give peanuts, you get monkeys ». C’était vrai dans le « monde d’avant » et ça le restera dans le « monde d’après ».

Sébastien Kuperfis (Groupe Junot) : un monde d'après "un peu mieux"…