La France a besoin de logement abordable, bas carbone, économe en foncier et en deniers publics. Là-dessus, tout le monde est à peu près d’accord.

Cependant, quand il s’agit de savoir combien de logements, cela se gâte déjà. J’entends, par exemple, à certains endroits du gouvernement, que de toute façon nous n’avons pas besoin de tant de logements neufs (ou rénovés) que cela et que 250 000 suffiraient, là où l’ensemble des professionnels et acteurs de l’immobilier posent le chiffre de 500 000 à 600 000 par an.

Les praticiens que nous sommes ne peuvent que constater, au quotidien, les difficultés des Français à se loger.

Le marché de l’acquisition est en passe de sérieusement bloquer : la baisse de la délivrance des permis de construire a fini d’enterrer définitivement le choc de l’offre. Et, avec une chute de plus de 37 % de la production de crédits sur un an¹, associée à une perte de pouvoir d’achat immobilier équivalente à 8 m², c’est désormais l’expression de la demande solvable qui se complique.

Dans le même temps, le marché de la location est en passe de s’assécher à toute allure sous plusieurs effets : moins de logements produits dans le neuf, moins de mobilité résidentielle dans l’existant, auxquels s’ajoute la sortie progressive des passoires énergétiques du marché de la location. Les propriétaires bailleurs préfèrent, en effet, souvent vendre des biens qu’ils n’ont pas les moyens ou pas envie de rénover. Le mouvement est déjà engagé : selon les notaires, la proportion des logements classés G dans le total des transactions est passée de 3 % au premier trimestre 2020, à 7 % au troisième trimestre 2022. Pour les biens F, c’est de 9 à 10 %. La réalité, c’est qu’on a deux fois moins d’offres qu’avant le Covid², et une fois et demie plus de demandes. Au point que les étudiants gardent leur chambre dans nos résidences étudiants pendant l’été, de peur de ne pas retrouver de logement à la rentrée.

Le CNR Logement doit donc être l’occasion d’aboutir à un diagnostic partagé sur le besoin : le combien avec son nécessaire corollaire, le où.

Poser clairement le besoin global de logement nécessite aussi de remettre l’Etat à sa juste place dans le dispositif pour reprendre son rôle de planificateur. Il s’est accoutumé à vivre dans la crise et ne se soucie du sujet qu’à ce moment-là. Il faudrait pouvoir intervenir en amont, car agir alors que la crise a éclaté coûte très cher. L’engagement réel de l’ensemble des acteurs du secteur ne peut pas suffire à pallier cette déficience.

On l’a davantage vu ces dernières années renvoyer la responsabilité du sujet sur les maires, tout en contraignant toujours davantage leurs ressources. Et se préoccuper du logement surtout en produisant sans cesse des normes qui alourdissent son coût (RE 2020, nouveau Pinel). Ce dernier point soulève logiquement la question de la globalité et de la cohérence de la politique du logement : elle ne peut pas s’écrire par tranches de plus en plus techniques non coordonnées entre elles (Pinel +, loi climat et résilience…). Aujourd’hui, force est de constater que l’approche actuelle de la politique du logement consiste plutôt à refuser de choisir les priorités, en ne proposant finalement qu’une suite d’injonctions contradictoires.

Entre densité et artificialisation des sols : les réflexions en cours sur la Zan en sont bien la preuve. Entre prix du logement et bas carbone, sauf à accepter que seuls les « riches » aient accès au bas carbone. Entre rénovation des immeubles et règles de vote en copropriété, parce que les rénovations les plus efficaces sont celles qui concernent les immeubles en entier et, donc, à approuver en AG. Entre quantité de logements et financement public : rappelons au passage qu’en 2021, l’Etat a dépensé 38,1 milliards d’euros pour le logement, mais a, dans le même temps, engrangé 90,5 milliards d’euros de recettes fiscales. Enfin, entre pouvoir des maires et production de logement, en particulier social : est-il acceptable que les administrés refusant l’idée d’avoir de nouveaux voisins décident certains maires à renoncer à construire ?

Le CNR Logement doit permettre de rétablir un état stratège, capable de convictions politiques et de choix.

Sans consensus sur ces deux indispensables préalables, tous les efforts collectifs des professionnels du logement pour trouver les voies et moyens de produire du logement plus abordable ne pourront être suffisants pour inverser la tendance.

Véronique Bédague
Présidente-directrice générale de Nexity

¹ Observatoire Crédit Logement/CSA : la chute de la production de crédits s’est poursuivie avec, en novembre, une production mesurée en niveau trimestriel glissant en baisse de 36,4 %, en glissement annuel et un nombre de prêts de 37,3 %

² Bien’Ici (Stat’Ici 2022) : le dernier trimestre a enregistré près de deux fois moins de biens à louer que ce que l’on pouvait observer, en moyenne, trois ans plus tôt.

Véronique Bédague (Nexity) : "combien et comment, voilà l’équation que le CNR Logement doit dénouer"